Ce document diffusé en 1924 dans le contexte post traité de Washington aborde la restriction des tonnages dédiés avec en creux les menaces ; sous marins , les aéronefs et conséquemment la vulnérabilité navire …..etc Un document , préfigurant, très intéressant pour le génie maritime d’alors ,à l’écoute ,croisant expérience et vision du marin avec les enseignements de la guerre dont la bataille du Jutland.
« LE NAVIRE DE GUERRE MAXIMUM »
par le Vice-Amiral AMET
L'émotion qu’a soulevée en France la révélation de la petite part de tonnage de navires de ligne qui lui a été dédié à Washington, contraste avec le dédain souvent manifesté chez nous pour ce genre de navire
Ci dédain contraste aussi avec la valeur qu'y attachent nos alliés , valeur évidemment très grande à n’en juger que par la passion qu’ils ont mis à s'en octroyer une part beaucoup plus large
L'objet d'une si âpre dispute ne serait-il plus nécessaire notre pays, à raison de sa situation propre, alors qu'il conserverait une très glande utilité pour les principales puissances maritimes?
Mystère qu'aucun débat sur les conventions de Washington n'a cherché à percer !
La thèse avancée, lors des interpellations sur les accords de Washington, avait été que l’attribution d’un certain tonnage d’unité de ligne ne pouvait nous intéresser que pour autant que le chiffre en aurait été adopté comme mesure des forces légères autorisées, ce qu'on avait vainement essayé de faire décider par la conférence. Lors de la ratification du traité du février 1922, l’effort gouvernemental s'est appliqué à persuader les Chambres qu'elles n'avaient à sauvegarder que le choix de construire des bâtiments légers, en quantité adéquate aux exigences d'une politique navale désormais restreinte à des préoccupations de défense.
La question du plus ou du moins d'utilité de l’introduction « capital ships » nouveaux dans la composition de notre flotte, pour en constituer l'armature, ne fut pas discutée. On convint de laisser aux Gouvernement et Parlement de 1930 le soin de se prononcer sur la convenance d'user de la faculté qui nous était ouverte de construire, avant 1936, cent soixante-quinze mille tonnes de navires dits de ligne
Chose à souligner, ce n’est pas la considération de nos embarras financiers qui et été avancée pour justifier nue telle abstention; cela aurait d’ailleurs été peu logique car il est évident que nous n'en serons pas encore délivré à ce terme de 1930 qui fut aux tergiversations sur l'opportunité de renouveler notre escadre de ligne démodée.
La véritable raison de la prudence de cette attitude est que « l'avenir des « capital ship » serait sujet à caution.
Une importante question navale reste donc en suspens, qu'on peut exprimer de la façon suivante : notre flotte peut-elle avoir la puissance, l'efficacité que réclame notre politique navale, sans que la constitution soit consolidée par de modernes unités dites de ligne, c'est-à-dire par de grands navires de combat aussi conformes aux enseignements de la guerre que le permet le déplacement maximum admis à Washington ?
Plusieurs raisons nous inclinent à penser que la réponse à donner à cette question ne doit pas être renvoyée à 1930, qu'elle est d'un intérêt immédiat qu'il n'est pas téméraire de la formuler sans plus attendre.
Il nous semble d’abord qu’en remettre la discussion à un temps éloigné c'est déjà la trancher à l'aveuglette, peut-être alors dans un mauvais sens. N'est-ce pas, en effet, prendre aujourd'hui position contre tout type de grand navire de combat que de décider que pendant sept ans il n'en sera pas mis en chantier; qu'avant 1930 on en détournera l'intégralité des maigres crédits consentis pour nos constructions neuves ?
Ou a beau dire «qu'au de vue de technique » il sera possible de mettre en chantier, de 1931 à 1934 et de posséder en 1936, les 175 000 tomes de « capital ship » qui nous sont allouées. Au point de vue pratique cela sera certainement impossible à raison de l'effort financier considérable qui serait alors nécessaire, effort d'autant plus grand à partir de 1931, qu'auparavant on aura moins construit de tonnes de ligne.
On ne peut donc raisonnablement soutenir qu'il sera possible de renouveler avant 1936 notre escadre démodée, en différant jusqu'à 1930 une décision sur son utilité comme armature de notre flotte. En fait, ou renonce à posséder cette escadre moderne en 1936 que d'ici là elle doive, ou non, être reconnue comme indispensable à notre puissance navale.
D'autre part, tant qu'on laissera subsister un doute sur l’utilité de grandes unités de combat, nos ingénieurs n'y donneront pas une pensée, toute de leur esprit s'absorbant dans le perfectionnement des unités légères qui leur sont exclusivement commandées.
Qu'arrivera-t-il alors si en 1930 on décide de revenir à la construction des grands navires de combat, d'une conception évidemment très différente de celles que Ies enseignements de la guerre ont condamnées? Trouvera-t-on encore parmi nos ingénieurs, devenus depuis plus de trois Lustres. étrangers à des recherches d'idées nouvelles à ce sujet, des successeurs des Dupuy de Lôme, des Sabatier, des de Bussy., des Thibaudier, des Bertin, des Lyasse, des Lhomme, des Doyère, des Laubeuf, capables comme leurs illustres devanciers de faire œuvre de création originale?
Car il ne serait pas suffisant de faire œuvre d’imitation servile, de copie de ce qui se fait à l'étranger, pour répondre à des conditions différentes de celles qui nous sont imposées par les circonstances, par les traités, par notre situation géographique et politique toute spéciale.
Il faudra plutôt, ainsi que nous l'expliquerons plus loin, en venir à une conception nationale des nouvelles grandes unités navales c'est-à-dire à une conception répondant spécialement à la situation particulière du pays, à sa stratégie navale propre.
Pour cela, tout en tenant compte des progrès et des tendances de l’étranger, en sachant s’en inspirer à l’occasion iI faudra montrer de l’imagination, sortir des idées fécondes.
Ne doit-on pas craindre que cette faculté géniale ne s'atrophie chez nos constructeurs, en ce qui concerne les grandes unités de combat, si on les laisse sous l'impression qu’ils n'auront d’ici longtemps, qu’ils n'auront peut-être plus jamais à en dresser des projets?
Il convient donc d’élucider, sans plus larder, la question du plus on du moires d'utilité des grandes unités dans notre flotte afin que, si elle se résout en faveur de la reprise de leur construction, un jour ou l'autre, les constructeurs navals français soient incites à y réfléchir et puissent enfanter des types de l'espèce répondant convenablement au désirata des marins. .
Nous allons donc essayer de montrer qu’il est dores et déjà possible de se prononcer sur le rôle des grandes unités dans notre flotte, et même d'en définir les traits essentiels, c'est-à-dire de fournir aux ingénieurs un fructueux sujet de méditation.
Les contempteurs des « monstres blindés » n’ont pas attendu l'après-guerre pour condamner les grandes unités navales.
A claque apparition de véhicule relativement léger, propre porter, par surprise, de fortes charges explosives contre les grands navires, ifs ont proclamé leur règne terminé parce qu’ils seraient chassés du large par le nouvel engin.
Il y a près d'un demi-siècle, on prophétisait ainsi le triomphe du minuscule torpilleur à la suite de quelques prouesses de navigation qui avaient étonné et étaient d'ailleurs admirables. L'enthousiasme pour ce nouvel instrument naval troubla plus d’un cerveau chez les marins eux-mêmes. Dans l’opinion publique, dans le monde parlementaire, il prit un caractère politique : le cuirassé fût classé parmi les armes de la réaction, ses partisans furent mis au rang des aristocrates fermés aux idées de progrès.
Les événements n'ont guère donné raison six hardis novateurs qui ne voulaient plus qu'une flotte de torpilleurs. La grande guerre venue, ceux-ci n’ont pas joué le rôle de destructeurs des cuirassés : tout au contraire, ils en ont été les gardes du corps. Entre temps, « le microbe de la mer » avait bien amplifié !
Une exception très remarquable doit être notée, mais elle se rapporte a des circonstances exceptionnelles d'opérations par temps calme en une mer étroite : nous faisions allusion à l'exploit de ces estafettes italiennes qui ont réussi a se placer sur le passage d’une escadre autrichienne et surent exploiter habilement leur chance.
Nouveau et très significatif enseignement sur les risques déjà connus auxquels sont exposés, en mer calme, à proximité de l'ennemi, des navires mal gardés, insuffisamment organises pour la défense contre de telles attaques, médiocrement conçus pour résister aux avaries sous la flottaison : il ne s'y trouve aucunement la preuve que le minuscule lance-torpilles de surface soit venu à bout du géant des flottes.
Le lance-torpilles sous-marin, jusqu’à présent, n'y a pas davantage réussi, quoiqu'il représente vraiment une pure merveille du génie humain, de notre génie maritime spécialement.
Et cependant son endurance aux longues croisières s'est révélée à un degré insoupçonné avant la guerre. Sa Faculté spéciale de surprise en fut considérablement accrue, condition de ses succès qui ne se présentera plus aussi avantageusement dans les luttes navales de l’avenir.
De 1915 à 1917 l’activité sous-marine allemande a encore profité de l’impréparation complète, intellectuelle et matérielle, des marines auxquelles elle s'attaquait, où l'on ne vint que très lentement à la possession de l’organisation et de la doctrine de la lutte contre les sous-marins, organisation et doctrine qui ont toutefois fini par l'emporter.
Désormais, peu après son entrée en campagne, le sous-marin verra se dresser contre lui une organisation analogue et une doctrine meilleure; il ne rencontrera plus les facilité de destructions d’inoffensif et abondant gibier commercial, où de navires de guerre mal gardés, qui lui fournirent ces tableaux de chasse dont le monde entier a été fortement impressionné; les conventions internationales limitant remploi des sous-marins brideront continuellement, son action : qui oserait désormais revenir aux barbares procédés sommaires pratiqués par les sous-marins de l’Allemagne après l'exemple des mauvaises conséquences qui en out suivi pour cet Empire?
Les navires de guerre victimes des sous-marins étaient, du reste, de faible échantillon ou d'une architecture archaïque. Les sous-marins n’ont pas coulé beaucoup plus de cent mille tonnes de cuirassés, tous démodés, en quatre années de lutte; chiffre faible, au regard du tonnage global des armées navales. Mais vient-on dire, s'il n'y en eût pas davantage, c'est que les escadres se sont enfermées dans les rades bien closes, abandonnant ainsi la maitrise de la mer à leur invisible et insaisissable adversaire.
Pour parler ainsi, il finit être mal informé.
Ce qui est exact, c'est qu'à partir des premières expériences de la guerre sous-marine, les grandes unités navales ont dû renoncer à cette sorte de marche sur place, équivalant à un stationnement, à laquelle elles se livraient jadis pour tenir un blocus.
Elles ont dû adopter ta navigation à grande allure, sur des routes zigzagantes, avec l'escorte de bâtiments légers tendant autour d'elles un réseau de surveillance et de protection, sans plus s'attarder dans les parages infestés de sous-marins.
Leurs façons anciennes de se comporter au large et même au mouillage ont dû se transformer. C'est une très grande incommodité : ce n'est point une impassibilité de prendre tenir la mer.
De fait, elles y ont été toutes les fois qu'il a été nécessaire pour l’accomplissement de leur rôle essentiel, qui est de priver l'adversaire de son libre usage et se le réserver, en retenant les escadres ennemies dans leurs refuges ou en les combattants si elles en sortent.
Les escadres, de la « Grand Fleet » notamment, prenaient et tenaient souvent la mer pour leur entraînement ou pour tenter de rencontrer l'ennemi, ce qui leur a d’ailleurs procuré l'occasion de l'engager devant le Jutland.
Quatorze sous-marins mis en faction devant leurs mouillages habituels de Scapa Flow, du Firth de Moray, du Firth de Forth, n'ont pu les empêcher d'en sortir sans dommage, de se joindre, de surprendre eu forces très supérieures la « Hoch-See Flotte ».
A cette grande bataille s'est joué le sort de la guerre : les sous-marins n'y ont pris aucune part !
Faut-il reprocher à l'amiral Scheer de ne pas en avoir prévu l’action en liaison tactique avec ses escadres?
Nous ne lui jetterons pas la pierre à ce sujet, parce que nous connaissons les difficultés considérables auxquelles on se bute quand on cherche à lier l’action des navires de surface ou de l'air, à celle des sous-marins, pour obtenir à la fois l'efficacité contre l'adversaire et la sécurité pour les combattants de son propre parti
Ces difficultés tiennent aux inconvénients de la nature du sous-marin : lent et myope en plongée, susceptible aussi bien en surface qu’en immersion d’être confondu avec un sous-marin ennemi, il est en outre affligé d'une sensibilité d'épiderme qui l'oblige à se cacher profondément au premier geste de résistance de celui dont il voudrait faire sournoisement sa victime.
Si en Allemagne, pays de grande culture militaire, la direction des opérations navales; ne s'est pas conformée au principe bien établi de viser avant tout la destruction des forces organisées de l'adversaire, si elle a préféré lancer ses sous-marins à la poursuite du commerce, avant d'essayer de les employer contre les escadres anglaises, si elle n'a montré aucune ténacité dans les tentatives d'action sous-marine contre celles-ci, c'est évidemment qu'elle avait mesuré le peu de chance de succès d’une telle action isolée, ainsi que la difficulté de l'associer aux évolutions des escadres allemandes.
La forme insolite de guerre navale à laquelle ont recouru nos ennemis est donc, à elle seule, une preuve que l'apparition du sous-marin n'entraîne pas fatalement la disparation du cuirassé.
Pour bien juger les capacités du nouvel instrument naval, il ne faut perdre de vue ni ce renoncement, a priori comme a posteriori, à son emploi dans la lutte d'escadre ni les circonstances anormales qui favorisèrent son affectation à la destruction du commerce :il ne faut pas oublier, non plus, qu'ayant appris peu à peu se garder et protéger contre les sous-marins, puis à riposter à leurs entreprises, à les dépister, bref à contrarier leur activité, jusqu'à la paralyser, les alliés, en fin de compte, grâce à la prédominance de leurs navires de haut-bord, ont réussi à mettre terme à la guerre sous-marine plusieurs semaines avant la soumission des empires centraux.
Ce qu'il convient d'inscrire à l'actif du pouvoir sous-marin, et c'est capital, c'est qu'il oblige l'adversaire à ne se montrer dans les régions où la sournoise attaque sous-marine peut être attendue, qu'en s'entourant de précautions jadis inusitées, en y passant rapidement, sans s'y attarde.
Les croisières de blocus ne peuvent donc plus être tenues comme autrefois : elles doivent s'écarter à grande distance des côtes bloquées.
Le pouvoir préservateur de l’arme sous-marine au voisinage des côtes nationales est destiné à s'accentuer avec le perfectionnement des méthodes de liaison entre les armes des trois dimensions de l'espace océanique, méthodes favorisées elles-mêmes par le voisinage des côtes nationales.
Nous en devons prendre confiance pour la conservation de nos communications avec l'Afrique du Nord.
Ce serait toutefois se faire illusion que de croire le sous-marin capable, alors même qu'il opèrerait en liaison avec des bâtiments légers de surface et des aéronefs, d'interdire, dans la zone qu'il garde, toute apparition de navires de surface, justiciables de ses torpilles, qui auraient résolu de s'en prendre lestement aux convois et à leurs escortes.
Assurément l'avenir réserve au sous-marin, avec l'accroissement de son déplacement maximum, un beau développement de ses facultés diverses. Mais le temps amènera aussi le perfectionnement des moyens de défense et de protection des grandes unités navales ainsi que de leur endurance aux coups des sous-marins. Le Hood déjà pourrait « encaisser» plusieurs torpilles sans sombrer !
Jusqu’au jour où les dimensions du sous-marin approcheront de celles des grands navires de surface, ce qui lui procurerait certaines qualités de ces derniers dont il a été privé jusqu'à présent, notamment une épaisseur d'épiderme et une ampleur de logements qui lui ont fait grandement défaut pour exploitation de son privilège d'invisibilité à volonté, jusqu'à ce jour qui n'est pas prés de luire, si la grande unité de surface doit disparaitre de la composition des flottes, ce ne sera pas du fait du sous-marin. Mais il y a l'aéronef !
Il a été fait grand bruit des résultats des bombardements aériens de cuirassés déclassés aux Etats-Unis et en Angleterre.
Ce furent des expériences sur des cadavres de navires ; leurs conditions ne ressemblent en rien à celles de la réalité de l'attaque d'une vivante unité de combat, capable de réagir par le tir de son artillerie contre avions, par sa manœuvre, ainsi que par des émissions de fumées, capable aussi de lutter contre les invasions de l'eau, de l'incendie, voire des gaz délétères, par la mise eu branle d'une organisation de sécurité qui fonctionnait déjà avec des moyens puissants durant la guerre et s'est montrée souvent efficace contre les voies d'eau.
Les assaillants aériens, de leur côté, opéraient au cours de ces tirs à la cible, d'une façon qui ne ressemble guère à celle qu'ils auraient à pratiquer au combat. Agissant isolément et non en groupes tactiques, guidés vers leur objectif par une chaîne de navires jalons, passant une première fois au-dessus du but pour laisser choir une petite bombe de réglage, décrivant ensuite, à son zénith, une orbe pour repasser sur lui en se présentant de la même façon que la première fois.
Si perdreaux et faisans se comportaient de la sorte au-dessus des chasseurs, rares seraient.les bredouilles ! Le pourcentage des coups efficaces portés, dans ces conditions singulières, n'a cependant pas été brillant; on a constaté qu'une petite mobilité de la cible le faisait baisser sensiblement.
Un article du 22 septembre 1923 de l'Army and Navy Journal de New-York, commentant soigneusement ces résultats, en conclut que pour venir certainement à bout, d'un « Capital ship » actuel, il faudrait lancer au-dessus de lui une flottille de cent appareils chargés chacun de 2.000 livres de bombes ; en prévision des indisponibilités, la flottille en question devrait être constituée à 120 unités de 45000 dollars, non compris les avions de protection dont il faudrait prévoir l'escorte, les bombardiers étant incapables de se défendre contre les chasseurs ennemis.
Sans doute les aviateurs perfectionneront leurs procédés de visée; le pourcentage des coups dangereux pourra croître en exercice. Il faut s'attendre toutefois à ce qu'il baisse toujours beaucoup dans la réalité de l’attaque de navires réagissant, comme nous l'avons déjà dit, alors qu'il n'y aura plus de réglage préalable que la correction de la visée sera gênée par des éclatements, par des fumées, par l’intervention de chasseurs ennemis , par la préoccupation de la tenue du poste en formation de groupe.
Du reste si les méthodes et appareils de visée doivent se perfectionner, les méthodes et le matériel de tir contre avions feront des progrès dans le même temps.
Que les aviateurs ne considèrent pas avec trop de dédain les possibilités d’améliorations de l’arme destinée à les abattre ; on peut escompter à son avantage des disponibilités de poids sous le rapport desquelles la machine flottant sur l’eau handicapera toujours la machine volante, car pour celle-ci la moindre addition de charge est un pesant fardeau.
On fait valoir à l'avantage des bombardements aériens qu'il n'est pas nécessaire de frapper directement le navire visé pour lui porter le coup fatal ; l'explosion de bombes tombant à son voisinage, pouvant en disloquer la coque.
Il semble qu'on se soit trop hâté de généraliser des effets de ce genre observés lors des premières expériences sur l'Iowa et l'Ost-Friediand. Le New Jersey s'est montré beaucoup plus résistant : il a fallu des coups directs de bombes de 1.100 livres pour en venir à bout ; celles de 600 livres n'y avaient pas suffi. Ce sont aussi des coups directs de 1.100 livres qui eurent raison du Virginia.
Ces cuirassés cibles étaient d'ailleurs tous bâtis à la vieille mode, conçus pour endurer seulement les coups de l'artillerie tirant à trajectoires assez tendues.
Les superdreadnoughts post-jutlandiens auraient déjà mieux supporté les coups, surtout leur service de sûreté fonctionnant. Or, la résistance des coques n'a évidemment pas dit son dernier mot ; celle des ponts peut aussi être très fortifiée. Tombant de 12000 pieds, altitude supérieure à celle d'où fut pratiqué le jet des bombes peu précises au cap Hatteras, l'engin arrive au but à la vitesse de 210 mètres seulement. Il ne faut donc pas une grande épaisseur de carapace pour faire obstacle à la pénétration de bombes à enveloppes minces.
En augmentera-t-on l'épaisseur des parois ? Ce serait au détriment du poids de la charge. Fera-t-on des avions plus puissants pour leur faire emporter des bombes plus lourdes'? Ce serait au détriment de la précision du tir, l'avion devant lancer de plus haut pour se soustraire à la déflagration ; à égalité de facultés budgétaires, ce serait aussi au détriment du nombre des appareils en service.
En somme, dans la nouvelle lutte du blindage contre la bombe aérienne, les avantages de la dernière sont probablement moins facilement développables que les avantages du premier. En tout cas les résultats des expériences du cap Hatteras ne peuvent pas être considérés comme des preuves que la maîtrise des airs l'emporterait déjà, ou l'emporterait bientôt, sur la maîtrise des mers. Elle ne serait d'ailleurs guère moins onéreuse.
D'après les estimations de l'article américain précité, la flottille opposable à un « capital ship » couterait au moins 5,4 millions de dollars mais serait à renouveler tous les quatre ans. Un superdreadnought moderne coûte 25 millions de dollars mais dure vingt ans.
Il y aurait donc équivalence de prix, avec avantage plutôt en faveur du navire de surface.
Seulement consacré à la constitution de l'instrument aérien la dépense ne procurerait qu'un pouvoir local, au mieux aller la maîtrise sur une bande côtière de 150 mille marins au plus, mettons le double dans un avenir lointain, car le rayon d'action d'avions lourdement chargés en bombes ne petit être confondu avec celui d'aéroplanes qui ont traversé l'Atlantique en deux ou trois bonds, en n'enlevant que deux pilotes avec une large provision d'essence.
Consacrée à l'instrument de surface, la même dépense procurera au contraire un immense champ de force.
Les océans sont vastes ! Il y restera toujours de larges espaces pour un incontestable empire des navires aquatiques, cet empire dût-il s'arrêter aux eaux périterritoriales de l'adversaire. Enfin en acceptant pour les forces de surface la part de mauvaises chances qui est le lot normal de tout combattant, il sera toujours possible de les faire pénétrer dans les régions de domination aérienne pour y accomplir des raids fructueux, en sachant choisir son temps et l'utiliser lestement.
Mais admettons que nos seules forces de l'air puissent suffire pour garantir contre toute entreprise hostile nos côtes métropolitaines ou coloniales, et jusqu'à nos communications avec l'Afrique française du Nord.
N'est-il pas absurde d'espérer qu'en les développant au détriment des forces de surface, on parviendrait mieux que par la puissance de celles-ci à assurer la conservation des liaisons de la métropole avec nos colonies lointaines, qu'en temps de guerre il sera si important de conserver, et mieux, de multiplier, soit pour tirer de nos possessions d'outre-océan des ressources nécessaires à la défense nationale, soit pour soutenir un loyalisme indigène qui faiblirait fatalement si notre pavillon ne devait plus se montrer dans nos eaux coloniales?
Seules des forces de surface y conviendront, les grands navires mieux que les petits (1).
(1) Pour ne pas trop allonger ce mémoire, nous ne parlerons pas de l'avion-torpilleur, ni du porte-aéronef, les considérations qu'on peut faire valoir à leur sujet n'étant pas susceptibles d'infirmer notre thèse.
En somme, même en ne la considérant que dans la forme qu'elle revêtait au cours des expériences de guerre ou d'exercice où de nouveaux instruments navals, d'espèces légères, lui ont été opposés, il est pour le moins exagéré de prononcer la condamnation de la grande unité navale.
Torpilleur et sous-marin ne l'ont nullement chassée de la surface des océans :
Ils l'y condamnent seulement à des précautions incommodes, onéreuses, jadis inusitées et lui interdisent, sinon de paraître, du moins de s'attarder dans les régions avoisinant les côtes ennemies
Vraisemblablement, en s'ajoutant à ce pouvoir limité des lance-torpilles de surface ou sous-marin, celui des aéronefs ne parviendra qu’à renforcer dans les dites régions, mais non à l’étendre au delà. A fortiori, en doit-il être ainsi si la grande unité navale est susceptible de perfectionnements. Examinons-la donc en elle-même.
Et d'abord reconnaissons que, quoi qu'en disent ses ironiques contempteurs. Le navire dit de ligne n'est pas fait seulement pour la pompe, le luxe, le confort; qu'il répond à des convenances, on peut même dire à des exigences militaires réelles.
Terme ultime de la progression en puissance des outils de la guerre navale, il procède de l'idée juste d'allier la force de l'armement à l'endurance aux coups, en y joignant le développement des facultés de mouvement, vitesse, distance franchissable.
Les dimensions qu'on est ainsi amené à lui donner procurent, par surcroit des qualités nullement à dédaigner : la bonne tenue à la mer qui favorise le tir et conserve l'allure, l'habitabilité qui ménage la vigueur physique et morale de l'équipage.
Tant que sur mer le canon fut l'arme souveraine sans partage, « l'ultima ratio », la protection du navire n'a été conçue que contre son tir à trajectoires tendues, le perfectionnement des organisations et méthodes de tir n'ayant pas, avant la guerre mondiale, permis de pratiquer le tir aux distances auxquelles correspondent les très grands angles de chute.
Puis on s'est préoccupé de la protection contre les torpilles et les mines. Les constructeurs y avaient donné leur attention bien avant 1914 : les solutions timides qu'ils avaient trouvées à ce nouveau problème étaient, toutefois, moins satisfaisantes que celles qu'ils avaient imaginées pour la protection contre l'artillerie.
De ce qu'elles se soient révélées insuffisantes à l'épreuve du combat, on n'est pas en droit d'inférer que le problème soit insoluble.
Pour le traiter convenablement il avait manqué aux ingénieurs ce qui leur est venu par la guerre non seulement les données que l'observation des faits permit d'y recueillir, mais encore l'indispensable aisance dans la fixation du déplacement. Jusqu'à la guerre, en effet, le constructeur naval se sentait bridé par la considération, généralement admise, de ne point exagérer les dimensions des unités de combat.
Pour satisfaire à des visées de plus en plus ambitieuses quant à l'armement en canons, à la protection contre les obus, à la pondéreuse faculté de mouvement, la concurrence navale avait déjà conduit aux déplacements de 25.000 tonnes, qu'il aurait fallu dépasser franchement pour obtenir, en outre, une grande résistance aux avaries par des engins qui n'avaient pas encore fait leurs preuves de combat. La protection contre les explosions sous-marines était donc médiocre dans les deux types de Capital-ship de 25.000 tonnes, le cuirassé ordinaire et le croiseur de bataille.
Quant à l'organisation de la défense et de la protection contre les attaques aériennes, aucune marine ne s'en était sérieusement préoccupée avant la guerre.
Au lendemain de celle-ci, pour tenir compte de ses enseignements, on a envisagé et même réalisé des déplacements dépassant 40000 tonnes, donnant un type puissamment armé, bien plus rapide que les croiseurs de bataille ayant combattu au Jutland, solidement protégé aussi contre le canon et les explosions sous-marines.
Le Hood, dit-on, pourrait recevoir une demi-douzaine de grosses torpilles sans sombrer, sans même perdre la faculté de combattre à, une vitesse modérée. Qui mieux est, son déplacement a permis d'y ébaucher une bonne organisation contre les attaques aériennes.
On a envisagé mieux encore, les spécialistes estimant qu'en poussant le déplacement jusqu'à 55.000 ou 60.000 tonnes, déjà atteint par de gigantesques paquebots, on réussirait à allier la très grande vitesse à une énorme puissance de l'armement, ainsi qu'à une solide protection contre les coups conférant au navire la quasi-indestructibilité qu'appelle l'élévation de son coût.
Survient alors la conférence de Washington qui limite le déplacement à 35560 tonnes métriques — combustible non compris — ce qui, entre parenthèses, réalise si mal l'objet d'allégement du fardeau naval assigné à la Conférence qu'il n'y avait, pour notre pays, aucune obligation morale d'adhérer au traité de limitation des armements navals.
Dans ce déplacement de 35560 tonnes, si excessif qu'il reste pour les contribuables, il sera impossible d'enfermer toutes les qualités offensives et défensives désirées.
On pourra seulement y tendre, par une stricte et ingénieuse économie de l'utilisation du déplacement, au sujet de laquelle, en juillet 1922, le major Fea présentait à la réunion des Naval Architects à Paris d'intéressantes suggestions, qu'il serait superflu de rappeler ici.
En les appliquant au navire de 35560 tonnes, on parviendra sans doute à lui donner les qualités d'un bâtiment beaucoup plus lourd suivant les anciennes conceptions de construction, sans d'ailleurs qu'il coite moins que celui-ci, ce qui souligne encore la vanité de l'œuvre, soi-disant humanitaire, accomplie à Washington.
Mais, même en ayant recours à ces perfectionnements, il faudra se résigner à accentuer les sacrifices relatifs que dans le type Hood on a déjà commencé à admettre sur les qualités offensives, afin de rendre le nouveau « Capital ship » convenablement résistant aux coups de toutes sortes qui le menaceront désormais.
Si imparfaite que soit l'analyse de l'utilisation du déplacement dans les types de notre Bretagne et du Hood sommairement présentée dans le tableau comparatif ci-dessous, elle indique nettement le caractère de cette évolution de la grande unité navale.
Elle permet, notamment, de voir clairement qu'il n'y a pas d'assimilation à faire entre l'endurance aux diverses avaries de combat du futur navire de haut-bord et l'insignifiante résistance opposée par de vieux cuirassés aux coups des sous-marins ou par d'inertes coques un peu moins démodées aux bombardements par avions.
Tableau comparatif de la répartition du déplacement
Cependant en aucune marine encore les idées ne semblent s'être précisées sur le partage des 35560 tonnes du navire maximum défini à Washington, entre les diverses caractéristiques à lui donner : il n'en a été tracé jusqu'à présent que de vagues esquisses.
Cela justifierait de la Circonspection dans l'adoption d'un projet de navire de ligne; cela ne légitime pas une excessive réserve sur la valeur à attribuer aux grandes unités de combat dans la composition de notre flotte.
Peut-être cette réserve tient-elle à une équivoque sur la nature de son objet. Au juste, de quoi s'agit-il ?
Assurément d'aucun type de dreadnought, ou superdreadnoughts, pré ou post-jutlandiens, actuellement à flot, en chantiers ou même en projets connus, que purent avoir en exclusive contemplation les conférents de Washington lors de leur âpre dispute à ce sujet, ou les esprits en notre Parlement ratifiant le traité de février 1922.
Il n'y a pas à se préoccuper de façonner, à l'échelle des dimensions inscrites dans ce traité, un moule pour type déjà conçu de capital-ship, si, comme nous l'admettons très volontiers avec les détracteurs de cette espèce, aucun de ces concepts anciens ne satisfait convenablement aux besoins de notre stratégie navale.
Ce qu'il y a à rechercher c'est comment et dans quelle mesure il conviendrait d'utiliser les 175.000 tonnes de navires de ligne qui nous ont été allouées, en unités déplaçant entre 10160 et 35560 tonnes métriques, portant ne serait-ce qu'un canon de calibre supérieur à 204 millimètres mais ne pouvant dépasser 406 millimètres, étant bien entendu que ce titre d'unité de ligne (1), dont les affuble le traité, n'oblige pas à ne les employer qu'en groupes.
(1) C'est pourquoi nous l'appelons le navire maximum
De l'évolution du navire de ligne dans le passé se dégage une tendance constante, celle de l'augmentation continuelle des dimensions, loi générale de croissance de toute espèce d'instruments de la guerre navale, on pourrait dire de la guerre, tout simplement ; conséquence de l'enchaînement fatal des perfectionnements réciproques dans les dispositions offensives et défensives du matériel de guerre, dont la longue lutte entre la cuirasse et le canon fournit une illustration typique.
On essaierait en vain d'y résister ; l'infériorité manifeste de l'outillage de guerre aurait tôt puni la désobéissance à cette loi inéluctable.
Tenter d'y échapper par la spécialisation du navire a toujours été décevant. A l'usage la nécessité se fait vite sentir, non seulement de développer les facultés spéciales à son genre, mais encore de lui en fournir de nouvelles.
C'est toute l'histoire de l'accroissement des dimensions du lance-torpilles, sous-marin aussi bien que de surface, du destroyer, de mouilleur de mines, des éclaireurs et d'une façon générale, de tous les bâtiments légers, comme des autres.
Loi générale, qui n'est point de fantaisie: ce n'est pas par bon plaisir où vanité que les marins réclament des outils aussi bons et puissants, pour le moins, que ceux qu'ils voient aux mains des marins étrangers ; c'est dans un juste sentiment de l'importance de leur mission et par souci de son convenable accomplissement. De cette impérieuse loi une conséquence est à dégager avec la netteté que compatie son importance. Ne pas aller, dans l'adoption d'un type de navire de guerre, à l'extrême du déplacement qu'il comporte, c'est accepter le déclassement, a priori des unités du type, dès leur mise eu chantier.
Les navires de guerre se démodent d'autant plus vite qu'on leur a consenti un déplacement plus étriqué, vérité mise en évidence par la longue histoire des avatars des échantillons de notre flotte, toujours alourdis, dès leur premier armement, pour avoir été chichement mesurés, dont, pour la même raison, l'existence s'est consommée en modifications et refontes.
Il s'en déduit logiquement que moins le budget d'une marine est garni, plus elle doit s'attacher à ne construire que des unités poussées au maximum du déplacement de leur type, afin d'éviter qu'elles ne vieillissent prématurément.
Les intérêts financiers et navals du pays en seront mieux ménagés, les navires largement conçus devant durer plus longtemps, tout en étant plus puissants. Il faut savoir mettre son prix à ce que l'on destine à un long usage.
A cette thèse s'oppose celle du nombre.
Car la puissance individuelle des éléments d'une flotte n'est pas tout à la guerre ; il y faut encore leur nombre en suffisance.
Or plus coûteuses sont les unités d'une marine gênée aux entournures budgétaires et moins elle en peut posséder.
L'objection est captieuse.
Le nombre est assurément un facteur capital du succès des opérations ; encore faut-il que l'énumération soit d'unités de même valeur. Sinon il ne faut pas se contenter de compter; il faut plutôt peser, apprécier, comparer d'après les besognes à accomplir. S'il s'agit seulement d'exploration ou de surveillance, l'essentiel étant de découvrir, d'observer et d'avertir par T. S. F., alors il faut surtout le nombre avec un dispositif qui permette, en s'y prenant lestement, de se rabattre vers un refuge ou un appui à convenable portée.
Faute des éléments puissants nécessaires à la constitution de cet appui, aucune opération n'est raisonnable au-delà du voisinage immédiat d'un bon abri convenablement défendu. Ainsi la nécessité de la force mélangée à celle du nombre, se révèle pour l'accomplissement de missions qui semblent réclamer surtout ce dernier.
Mais s'il s'agit d'opérations exposant à l'engagement, recherché ou subi, au combat acharné par conséquent, surtout s'il y a possibilité de se heurter à plus puissant que soi (par la force individuelle d'unités en même nombre, ou par le nombre d'unités de même force individuelle) alors, sans hésitation, il faut préférer moins de navires forts à plus de navires faibles.
Avec des navires forts tout espoir de gagner la partie ne doit pas être abandonné si la disproportion n'est pas excessive; si elle est grande il reste quelques chances de se dégager à temps, ou tout au moins de faire chèrement payer à l'ennemi sa victoire
Tandis que, même à nombre égal d'unités, l'infériorité marquée de leur puissance les voue fatalement à, la destruction quand elles se heurteront à un robuste adversaire.
Nous ignorons l'idée de derrière la tête des délégués français et italiens lorsqu'ils ont fait inscrire dans le Traité de Washington la réserve, pour leurs marines, d'employer à leur gré les 175 000 tonnes qu'on leur allouait; c'est-à-dire sans doute de les employer en navires déplaçant entre 10.000 et 35560 tonnes.
Peut-être, faut-il admirer la sagesse de cet acte de prudence? Mais doit-on y voir autre chose qu'un reflet de la discussion, qui venait d'avoir lieu, sur le nombre minimum de navires que comporte la constitution du groupe tactique nommé escadre, nos délégués plaidant pour sept cuirassés dont un de remplacement, les Anglais soutenant qu'une escadre de quatre cuirassés fait déjà, figure imposante. Comme cinq navires de 35.000 tonnes absorberaient entièrement les 175.000 tonnes allouées à chacune des nations latines, leurs délégués, poursuivant leur idée d'une escadre de six et sept unités, ont dû envisager et par conséquent faire réserver la possibilité de la constituer avec des unités de moins de 35.000 tonnes. A bien y réfléchir toutefois, on n'aperçoit pas de combinaison de ce genre qui mérite d'être préférée à celle des cinq navires du déplacement maximum.
Ce n'est d'ailleurs pas trancher la question de l'opportunité d'une certaine hétérogénéité dans la composition convenable de la flotte de haut bord, que de soutenir, avec les arguments précédemment développés, que quel que soit le genre de grands navires à mettre sur cale, l'intérêt de notre marine est de le concevoir avec les dimensions maximum permises par le traité.
Mais puisqu'au deçà de la limite de déplacement fixée, quelles que soient les améliorations que progrès industriels et trouvailles de l'imagination puissent apporter à l'économie des constructions navales, la réalisation de la perfection à la fois dans toutes les qualités offensives et défensives du navire de ligne, n'est pas espérable, puisqu'il faudra consentir des sacrifices sur certaines de ses caractéristiques, comment choisir entre les différentes combinaisons susceptibles d'être envisagées? Logiquement ce sera en considérant les exigences particulières qu'impose au pays sa situation spéciale : autrement dit la conception de la nouvelle unité navale doit se faire nationale.
La marine italienne, en quelque manière, fournit un exemple de cette ligne de conduite : à déplacement égal ses navires de guerre ont généralement reçu moins de blindage, moins de rayon d'action, moins d'outillage et d'approvisionnements que les similaires étrangers. Nos voisins ont sacrifié sur ces articles en faveur de la vitesse et de l'armement, parce que la lutte à laquelle ils se préparaient était envisagée au voisinage de leurs bases navales.
Une puissance maritime prétendant à l'hégémonie sur les océans doit au contraire concevoir sa force navale pour pouvoir affronter n'importe quel combat n'importe où, pour pouvoir durer en tous parages.
Maintenant qu'une limite est fixée au développement de sa flotte de ligne cela l'amènera sans doute à sacrifier, pour partie au moins de ses unités de ligne, la vitesse à l'armement, pour ne pas les exposer à se trouver, sous ce dernier rapport, en état d'infériorité vis-à-vis de celles d'une rivale en thalassocratie.
Les grandes visées navales comportent de grandes obligations stratégiques difficilement conciliables avec une limitation des moyens propres à y satisfaire. Il faut alors opter entre les objectifs qu'on voudrait atteindre à la fois sans pouvoir cependant en embrasser la poursuite d'ensemble. Il est heureux qu'il en soit ainsi : cela laisse à ceux dont les prétentions sont moindres, quelque espérance de sauvegarder leur indépendance.
Les visées de notre politique navale, maintes fois proclamées par notre gouvernement, à la face du monde, sont des plus modestes.
Notre prétendu impérialisme n'est qu'une idée de conservation.
Il n'aspire qu'au respect de nos côtes et au maintien, en temps d'hostilités, de communications fréquentes et sûres, en premier lieu avec l'Afrique française du Nord, en second lieu avec nos autres possessions coloniales.
Le salut de la nation exige que nos armées combattant sur un bord de la Méditerranée puissent recevoir continuellement les renforts, approvisionnements et autres ressources provenant de l'autre bord, qui seraient indispensables au succès de leurs opérations.
La constitution de notre flotte doit répondre avant tout à cet objet primordial, au regard duquel la considération des relations avec nos colonies lointaines et du renfort que notre flotte est susceptible de prêter leur défense est secondaire quoique fort importante aussi.
Cet ordre de préférence étant admis, la remarque s'impose aussitôt que le rayon d'action est une caractéristique sur laquelle on peut rogner dans la conception de la grande unité de combat française, la distance franchissable n'ayant pas besoin d'être considérable pour des opérations circonscrites à la partie occidentale de la Méditerranée.
Un grand rayon d'action est au contraire nécessaire pour des missions s'étendant jusqu'à nos colonies lointaines. Posons donc le principe d'un rayon d'action modéré, en lignes d'eau normales, pour nos futurs navires de haut-bord on s'efforcera de leur en constituer un très grand en les mettant en surcharge.
D'impérieuses raisons commandent l'adoption d'une très grande vitesse en charge normale. La première est qu'une flotte réduite à un tout petit nombre de grandes unités, comme celle qui nous a été taillée à Washington, est condamnée à une attitude non point craintive — cela serait contraire' aux traditions et à la nature française mais circonspecte vis-à-vis d'une flotte antagoniste très supérieure. En face de celle-ci il faudra savoir attendre et pouvoir saisir les occasions de combattre sans désavantage marqué ou, mieux, avec avantage.
Il faudra aussi pouvoir se dérober rapidement en cas de heurt à des forces manifestement trop supérieures pour que le combat doive être accepté.
Une autre raison est qu'ayant pour principale mission la sécurité des communications en Méditerranée occidentale, nos grandes unités de combat devront pouvoir voler au-devant de très rapides forces légères ennemies dont une vigilante surveillance dos abords de ce bassin leur aurait signalé l'apparition, afin de ruiner, ou tout au moins de châtier sévèrement, leurs entreprises contre nos convois.
La très grande vitesse enfin est une des meilleures garanties contre l'efficacité d'attaques sous-marines ou aériennes.
Quant, à la protection, il la faut concevoir tris différente de celle d'avant-guerre. Il convient d'accroître sensiblement l'épaisseur des ponts blindés et d'en agencer l'ensemble pour constituer une véritable carapace contre les bombes tombant du ciel et les obus tirés à longue portée. Le constructeur parviendra probablement qu'au détriment de la protection des flattes qui répond au cas de l'engagement à portée modérée. Mais contre plus fortement armé, ce cas d'engagement est moins probable grâce à la Supériorité de vitesse du moins armé, de même déplacement, que le cas de l'engagement à grande distance. C'est donc surtout contre cette dernière éventualité que devra être prémunie la nouvelle unité de ligne.
La protection sous-marine, de son côté, devra être telle que le navire, à l'instar du Hood, puisse supporter les effets de plusieurs explosions sous-marines sans sombrer, ni même être hors de combat : on admettra seulement qu'à chaque horion sérieux il perde une fraction de sa vitesse (1)
(1) Nous croyons superflu d'énoncer ici les mesures qui ont été préconisées ou réalisées dans ce but, notamment celles exposées dans un article de la Revue Maritime écrit par M. de Boysson, du G. M.
L'armement, à son tour, devra être conçu très différemment de ce qu'if était dans nos cuirassés d'avant-guerre, en ce sens qu'il ne pourra lui être consacré qu'une fraction du déplacement bien inférieure à ce qu'on lui attribuait jadis.
On ne pourra y maintenir que l'essentiel, il devra être débarrassé, de, l’accessoire et par conséquent des torpilles dont les grands bâtiments n'ont guère fait usage au cours de la guerre.
Avec de bonnes pièces anti-aériennes, susceptibles d'être tournées aussi contre les torpilleurs et les sous-marins, il ne pourra guère comprendre que deux tourelles triples ou quadruples, peut être une seulement, garnies de canons à très grande portée, d'un calibre aussi voisin que possible de 406 millimètres.
Qu'une telle conception soit réalisable, c'est un éminent naval architecte, Sir George Thurnton, qui le montre par l'une des suggestions de navire de ligne conforme aux conditions de Washington, qu'il a présentées au chapitre V du Naval annuel Brassey de 1923.
Le tableau ci-joint les résume en donnant aussi, pour comparaison, les caractéristiques du Hood. Les trois premières de ces variantes ne nous paraissent pas convenables pour notre flotte : vitesse insuffisante. Mais pour peu que l'une des grandes puissances navales adopte un type approchant, les rivales seront sans doute obligées de s'y fixer aussi, au moins pour partie de leur flotte de haut-bord, sous peine de renoncer aux visées lointaines auxquelles elles tiennent évidemment beaucoup.
Par contre, un type analogue, sinon semblable, à celui dit « expérimental» nous semble fort intéressant pour notre flotte, pour le succès de sa mission essentielle. Vraiment endurant aux avaries de combat de tout genre, un tel navire de haut-bord serait, vraiment aussi, susceptible de balayer lestement des forces légères acharnées à la suppression de nos communications avec l'Afrique.
Suggestions de Sir George Thurston concernant le navire de ligne de 35.560 tonnes métriques du Traité de Washington, devant déplacer en réalité 36.576 tonnes en comptant 1.016 tonnes de combustible et d'eau de réserve non compris dans les ternies du traité.
C'est un résultat auquel nous ne saurions prétendre avec nos croiseurs légers, quand ces communications seront vraiment très compromises, c'est-à-dire menacées par une grande puissance maritime; la richesse de celle-ci lui permettra, en effet, d'opposer partout aux nôtres, un nombre de bâtiments légers très supérieur, puisque aucune limite n'est fixée au tonnage des bâtiments légers.
Si décevantes que soient, pour nous les conventions de Washington, il faut savoir en tirer parti. Ce n'est pas du côté où la concurrence est libre, que la marine d'un pays très obéré peut espérer trouver en suffisance les moyens de secouer une tyrannie qui dissimule à peine ses desseins oppressifs.
C'est au contraire du côté où la concurrence est sinon supprimée du moins bornée, qu'on doit chercher les instruments propres à s'en affranchir localement.
Nous ne voulons 'contrôler qu'une petite étendue de mer, ce qui nous permet d'y concentrer nos moyens.
Eux veulent être partout seigneurs de la mer : il y a antinomie entre cette prétention et une intention de supériorité permanente dans la région qui nous intéresse presque exclusivement.
Introduisons dans la composition de notre flotte quelques exemplaires de cette grande unité de combat, très rapide, très endurante aux coups, portant loin des coups violents, déclassant tous les croiseurs légers de 10.000 tonnes, en groupe aussi bien qu'isolés, et nous inspirerons aussitôt du respect à. tout le monde. Qu'un puissant adversaire maritime se déclare alors et il serait mis dans l'alternative, ou de faire soutenir continuellement ses forces légères, en Méditerranée occidentale, par des unités de ligne qui lui feraient vraisemblablement défaut ailleurs, à raison des autres obligations que lui créerait l'ampleur de ses visées navales, imités de ligne fort exposées dès lors à, l'action liée de nos aéronefs, de nos sous-marins, voire de nos torpilleurs et estafettes ultra-rapides; ou de renoncer à entreprendre contre nos convois, autrement que par ses propres sous-marins et aéroplanes, un genre de lutte où nos avantages géographiques nous vaudraient le succès pour peu que notre infériorité en matériel et en entraînement ne soit pas trop accentuée.
Compte tenu des durées d'existence, l'unité de combat qui nous vaudrait cet avantage, ne coûterait pas beaucoup plus que quatre croiseurs de 8000 tonnes; que trois de 10160 tonnes, toutes unités légères fragiles, incapables d'endurer le moindre coup de bombe, de torpille ou de gros obus, quoique offrant à. ces divers projectiles, une cible presque aussi vaste que celle du solide, rapide et fort navire de 35000 tonnes, plus puissant à lui seul, que n'importe lequel de ces groupes de trois ou quatre croiseurs légers.
Bien plus qu'eux aussi le navire maximum serait apte aux missions lointaines, propre à relever le prestige de notre marine en temps de paix, comme en temps de guerre, à la faire prendre en considération, à nous attirer des alliances, à contenir des inimitiés. Oui, la grande unité de combat représente bien toujours pour notre flotte, comme pour toute autre, l'armature indispensable, l'épine dorsale de son ossature, sans laquelle toute vigueur lui ferait défaut.
Il n'est pas besoin d'attendre 1930 pour découvrir une fois de plus cette vérité; elle est peut-être désagréable à contempler dans sa nudité, il convient cependant de la regarder bien en face si l'on ne veut pas s'exposer à être réveillé quelque jour d'une illusion funeste par la violence d'un choc mortel.
Se déclarer contre l'utilisation de la faculté de construire de nouvelles unités de ligne est une opinion commode : ce n'est pas une opinion juste, mais une opinion néfaste.
Les réflexions que nous venons d'exposer ne tendent aucunement à rabaisser les facultés présentes ou futures des nouveaux instruments de la guerre sur mer, les sous-marins, les aéronefs, les vedettes ultra-rapides.
Nous sommes des premiers à en réclamer beaucoup et de bons dans la composition de notre flotte.
Mais croire qu'il pourrait suffire de quelques faibles croiseurs avec un certain nombre de torpilleurs pour nous constituer une force de surface adéquate aux exigences de notre politique navale restreinte, est une erreur à combattre sans plus attendre.
On la peut comparer à celle que commettaient, dans l'armée d'avant-guerre, les fanatiques du canon de 15 millimètres, arme admirablement réussie, mais qui ne pouvait suppléer, comme ils le croyaient, à l'insuffisance en artillerie lourde. Les flottes ne peuvent pas plus se passer de puissantes unités de haut-bord, que les armées de terre ne peuvent se passer d'artillerie lourde. Du moins en sera-t-il ainsi tant que n'aura pas été considérablement abaissée la limite du déplacement des navires de combat.
Sans avoir d'élargissement des crédits affectés à nos constructions neuves nous en réclamons simplement une meilleure affectation.
Nous ne demandons pas qu'on touche aux prévisions de mises en chantier des sous-marins et des torpilleurs. Mais nous souhaitons que les crédits afférents à de nouveaux croiseurs et à une partie des nouveaux contre-torpilleurs à prévoir dans une autre tranche du programme naval soient affectés à la mise en chantier de deux unités de combat maximum pour commencer le renouvellement de nos cuirassés par trop démodés.
Nous engageons vivement nos constructeurs navals à y penser souvent, à tendre leur esprit si scientifique, imaginatif et pratique, vers la conception d'un type de navire maximum répondant à notre situation particulière, propre à lever toute hésitation technique, parlementaire ou gouvernementale, sur l'opportunité de sa mise en chantier, par préférence à des croiseurs qui ne sont évidemment pas sans intérêt et valeur, mais qui ne sont pas, comme l'autre, indispensables pour l'accomplissement de la mission capitale de notre flotte,
discussion et rapport de la bataille du Jutland à suivre