--Les actions sur les îles:
Alors qu’ils doivent faire face aux assauts de l’aéronavale japonaise les Américains établissent également des patrouilles de chasseurs et de bombardiers au-dessus de Guam et Rota. Vers 10h40 17 Helldivers et 7 Avenger du Hornet couverts par 12 Hellcat attaquent Orote. À partir de 11h00, à l’initiative de Montgomery, les bombardiers lancés en matinée pour dégager les ponts d’envol au profit des CAP sont envoyés sur les aérodromes de Guam avec une escorte minimale : ainsi à 13h00 les Dauntless du Lexington. Jusqu’au combat livré contre le raid n°4, les bombardiers du Bunker Hill et de l’Essex traitent les bases japonaises. Les derniers fighters sweep ont lieu au crépuscule.
Le « tir aux dindons des Mariannes » prend fin, les forces japonaises ont perdu 315 avions et la plupart de leurs équipages. 29 appareils américains sont abattus ou accidentés.
Un des aspects les plus remarquables de cette journée est l’impossibilité pour les raids japonais de trouver une faille dans le rideau défensif de la Task Force 58. Malgré une bonne coordination et un flux presque permanent d’assaillants, les raids se heurtent toujours à des nuées de Hellcat en nombre équivalent voir supérieur. Les groupes aériens embarqués américains totalisent environ 450 chasseurs. Chaque porte-avions d’escadre emporte au moins 34 Hellcat et les CVL, 24. Il en résulte des missions de couverture aérienne nombreuses et permanentes qui harassent les formations japonaises souvent très loin de leurs objectifs. On est loin pour les Américains des formations mises en œuvre à Midway.
Mais cette matinée malgré la densité des opérations aériennes ne se résume pas à un duel d’aviateurs. A 11h20 un Liberator de la VB 101 repère la CarDiv 1 de l’Amiral Ozawa à 450 milles dans l’ouest de Guam et confirme la présence des deux sister-ships Shokaku et Zuikaku. Le Taiho n’est pas aperçu, cette observation confirmait une nouvelle intervenue plus tôt dans la matinée. Les sous-marins eux aussi avaient ouvert le bal.
2-Le Silent Service frappe les trois coups:
L’Amiral Lockwood avait positionné plusieurs de ses sous-marins dans l’ouest des Mariannes en vue d’intercepter la flotte japonaise. Ce choix s’avère judicieux. Le 19 juin à 08h16 l'Albacore repére un groupe de navires. Vers 09h00 le sous-marin se retrouve à 4800 mètres d’un grand porte-avions et décoche six torpilles malgré une panne de calculateur de tir. Un engin touche le Taiho à l’avant tribord à hauteur des réservoirs de carburant aviation, alors que le navire lance ses avions pour le raid n°2. Les vapeurs de carburant et de pétrole commencent à se répandre dans les fonds mais le bâtiment reste opérationnel.
A 11h52 le Cavalla recroise la route des porte-avions japonais. Identifiant l'un d'entre eux il lance six torpilles à 1100 mètres sur le Shokaku. Touché trois fois à 12h20, en proie aux incendies, abandonné par le reste de l'escadre japonaise, le bâtiment est cassé en deux par une énorme explosion de vapeurs de carburant à 15h00. A quelques distances de là à 15h32 une explosion catastrophique secoue le Taiho qui s'enfonce rapidement. Le système de ventilation a répandu les vapeurs explosives dans tout le bâtiment et une étincelle provoque leur ignition. Ozawa et son état-major doivent trouver refuge sur le Haguro.
3-La difficile poursuite de la 1ère Flotte Mobile:
Les succès de la chasse n’ont pas rasséréné Mitscher. Obligé de naviguer cap secteur est pour lancer les CAP, bridé par les ordres de Spruance, le chef de la TF 58 n’a pu se placer en position d’attaque de la flotte japonaise. Mitscher sait qu'Ozawa a perdu une grande majorité de ses appareils embarqués, mais il ignore la position de son adversaire et craint qu’il ne mette cap vers le Japon. Spruance autorise en soirée un changement de direction et à 20h00 les porte-avions mettent cap à l’ouest. Le groupe TG 58.4 du Contre-Amiral Harrill est détaché pour la couverture aérienne des Mariannes.
Au cours de la nuit aucune reconnaissance aérienne n’est lancée. Peut-être Mitscher doute-t-il encore des capacités des radars embarqués sur les Avenger et de fait ne souhaite pas perdre de temps en faisant à nouveau route à l’est pour lancer les appareils. Il y a aussi le fait que Mitscher pilote de la première heure ne veux pas envoyer des personnels fatigués sur de délicates missions de nuit après les durs combats de la journée.
De son côté Ozawa a fait mettre route à l’ouest pour mazouter dès le lendemain. Sans nouvelles de Kakuta il ignore l’état des forces basées aux Mariannes tout comme il est loin de se douter que la quasi-totalité de ses appareils embarqués ont été détruits au lieu de rallier Guam et Rota.
L’Amiral pense que ses forces seront à même de reprendre le combat dès le 20 juin au matin, à ce moment-là le moral japonais est au plus haut.
4-Les combats du 20 juin:
À l’aube, les premières reconnaissances décollent du Chitose et du Zuiho. L’Amiral Ozawa passe sur le Zuikaku. Les moyens de communication du porte-avions plus fournis et performants que ceux du Haguro lui permettent de prendre alors connaissance de la catastrophe de la veille. Les porte-avions japonais n'accueillent alors plus en tout et pour tout que 100 avions, 68 Zero, 24 Jill, 3 Judy et 5 Kate de reconnaissance contre 430 la veille. L’État-major impérial informe Ozawa des mouvements de la TF 58. La motivation des Japonais est toujours élevée et l’Amiral décide d’attaquer dès le lendemain, comptant toujours sur les forces de Kakuta, les opérations de ravitaillement débutent dans l’après-midi.
Les reconnaissances américaines décollent tout au long de la matinée mais leur efficacité est pour le moins médiocre. Ce n’est que vers 15h40 qu’un Avenger de l’Enterprise repère la 1ère Flotte Mobile. Les Japonais brouillent son message radio tant est si bien qu’il est inexploitable dans l’instant. Un second message de 15h57 donne enfin un cap et une distance: 275 milles. L’heure tardive: 16h00 implique un raid à longue distance et un retour nocturne avec tous les risques que cela comporte. Mais l’occasion ne se représenterait pas de sitôt et Mitscher ordonne de lancer une attaque à 16h10.
Tout va très vite. A 16h21 les porte-avions viennent dans le vent et à 16h31 216 appareils ont été lancés de 11 porte-avions : 85 Hellcat, 77 Helldiver et 54 Avenger. A 18h25, presque au crépuscule, les appareils américains découvrent 6 pétroliers navigant sur l’arrière des trois divisions de porte-avions en route au nord-ouest environ 20 milles en avant. Ozawa fait décoller 75 avions dont tous les chasseurs disponibles. Alors que les Hellcat engagent l’opposition, les bombardiers et les torpilleurs se faufilent au-travers d’une DCA très dense. Des Helldivers attaquèrent les tankers et en coulent deux le Genyo Maru et le Seiyo Maru. Les porte-avions sont débusqués vers 18h35.
Les appareils des groupes Clark et Reeves se concentrent sur le CarDiv 2. Peu d'Avenger sont équipés de torpilles, néanmoins 8 d'entre eux, une section du Belleau Wood et une du Yorktown attaquent le Hiyo dans les dernières lueurs du jour vers 18h45. Une seule torpille est mise au but par l'Enseigne de vaisseau Brown du Belleau Wood, en proie aux incendies et à la rupture des canalisations de carburant le Hiyo coule suite à une série d’explosions vers 20h30.
Le Ryuho est attaqué vers 18h30 à la bombe de 227 kilos par 5 Avenger de l'Enterprise qui le manquent de peu et lui infligent de légers dommages.
Le Zuikaku est attaqué par des Avenger des Hornet, Yorktown et Belleau Wood rejoints peu après par des appareils de l’Enterprise et du San Jacinto. Le dernier survivant de Pearl Harbour évite deux torpilles et 6 bombes de 227 kilos mais en encaissa une septième qui allume un incendie dans le hangar supérieur; néanmoins celui-ci est circonscrit et l'ordre d'abandonner le navire est annulé.
Le groupe d’éclairage est attaqué par des appareils du Bunker Hill, du Monterey et du Cabot. Le Chiyoda est endommagé à 18h38 par une bombe qui explose sur le pont d'envol tuant 20 hommes et détruisant deux avions. Le cuirassé Haruna est touché à l’étrave et une bombe détonnant dans l’eau à l’arrière endommage ses hélices limitant sa vitesse à 26 nœuds. Le Maya est également légèrement endommagé.
Les combats aériens font rage dans la pénombre. En 20 minutes les Hellcat abattent environ 65 de leurs adversaires. L’attaque coûte 20 avions aux Américains dont celui de Brown ; la plupart des équipages sont récupérés le lendemain.
Il fait désormais presque nuit et pour 196 équipages il faut maintenant revenir aux porte-avions à 260 milles de là. Il est 19h00.
5-«Light up the Carriers»:
Un seul objectif désormais rentrer … Pour la première fois dans l’histoire de la Navy un raid de grande ampleur doit rallier ses porte-avions dans la nuit. Les pilotes adoptent une allure économique mais le premier Helldiver fait le grand plongeon à mi-distance, vers 19h50.
Mitscher élargit ses formations de porte-avions au maximum; 15 milles entre chacune d’elle; pour leur donner une plus grande liberté de manœuvre.
Un a un les appareils font le plongeon mais vers 20h30 un Dauntless capte une radio- balise donnant enfin un cap sûr et une estimation de la distance. Peu de temps après, le pinceau de lumière vertical d’un projecteur est aperçu. A 20h45 les premiers avions cerclent au-dessus des porte-avions qui font route à 22 nœuds en route aviation.
Calé dans son siège sur la passerelle du Lexington, après avoir pesé le pour et le contre Mitscher donne son ordre le plus célèbre de la guerre et tous les ponts d’envol s’allument faisant fi de la menace sous-marine. A 20h50 le premier Avenger se jette littéralement sur le pont du Lexington. Il est devenu évident que les appareils ne pourront rejoindre systématiquement leur porte-avions respectif. A 20h52 l’ordre est donné de liberté d’appontage. La confusion est à son comble. Des pilotes volant aux vapeurs d’essence coupent les circuits d’appontage, se faufilent entre deux avions au mépris des règles sécurité pour prendre le groove au milieu des jurons échangés à la radio. D’autres, moteurs coupés tentent d’amerrir au plus près des destroyers chargés de les récupérer. Malgré les batmen, les ordres de Wave off et la célérité des équipes de pont qui dégagent les avions aussi rapidement que possible, les accidents sont nombreux.
Un Helldiver du Hornet s’écrase sur le pont du Bunker Hill il est à son tour percuté par un Avenger du Cabot. Après deux appontages et une barrière le pont d’envol du Bata an est déclaré « rouge ». Sur le Yorktown, le célèbre batman, Dick Tripp réussit l’exploit de faire apponter deux Helldiver ensemble, l’un derrière l’autre, mais peu après un Hellcat du Hornet qui venait d’apponter aux ordres de Tripp est abordé par un autre chasseur qui saute les brins et son pilote fut tué.
Les appontages et les accidents se succèdent durant deux heures à l’occasion de ce qui resta le raid aérien le plus coûteux de l’USN durant la guerre du Pacifique.
Conclusion
La bataille de la Mer des Philippines s’achève sur ce qui en temps normal aurait pu s’apparenter à un fiasco. Le raid du 20 juin connaît un taux de perte approchant les 50% et seul un porte-avions est coulé à cette occasion. 6 Hellcat, 10 Helldiver et 4 Avenger sont portés manquants à l’issue de l’attaque de 18h30.
17 Hellcat, 35 Helldiver et 28 Avenger soit 80 avions sont perdus à la suite de crashes ou d’amerrissages forcés au retour de la mission. A lui seul le Hornet perd 21 avions. 209 personnels volants sont portés manquants mais au total 167 seront récupérés dans les jours qui suivent.
A 20h46 le 20 juin, Ozawa reçoit l’ordre de son supérieur de mettre cap sur le Japon. Au soir du 21 juin Spruance abandonne la poursuite alors que son adversaire se trouve à 300 milles d’Okinawa.
Bien que sa gestion de l’affaire ait pu être critiquée à chaud par certains de ses collègues, Spruance remporte une victoire stratégique majeure. Certes 6 porte-avions japonais se sont échappés et deux des trois qui sont coulés ont été victimes des sous-marins.
En revanche
-le débarquement de Saïpan a été totalement sécurisé, celui de Guam peut commencer.
-les porte-avions survivants sont, excepté le Zuikaku, des navires de second rang tant par leurs capacités et leur conception que par leur vitesse.
-les porte-avions japonais rentrant à Kure ne comptent plus que 35 avions et équipages. En deux jours l’aviation embarquée japonaise a perdu 476 appareils (y compris les hydravions de reconnaissance) et surtout 445 navigants. À l’aube du 20 juin Ozawa disposait de 100 avions sur ses 7 porte-avions survivant en soirée il ne lui en reste plus que 35… sur les 430 dont il disposait 48 heures plus tôt.
La bataille de la Mer des Philippines deux ans après Midway et 18 mois après les Salomons marque la seconde mort de l’aéronavale japonaise. Celle-ci ne s’en remettra pas et c’est un fantôme que Mitscher et ses groupes de porte-avions anéantiront entre le 23 et le 25 octobre 1944 à Leyte.
De ce point de vue le « tir aux dindons des Mariannes » fut bel et bien une bataille définitive.