- pascal a écrit:
- Il me semble bien (je ne sais plus si on l'a évoqué ici) que la Marine japonaise n'a plus le droit d'avoir des porte-avions c'est repris dans leur constitution
Non, ce n'est pas repris dans la Constitution. L'article 9 stipule que le Japon renonce à la guerre comme moyen de régler les différends, mais il n'entre pas dans les types d'armes que le Japon s'autorise.
En revanche, ce fameux Article 9 fait l'objet d'une
interprétation officielle qui s'appelle "doctrine de défense" ou "posture de défense" et introduit le Livre Blanc de la Défense du Japon. Elle est approuvée ou rejetée par la Diète. Cette interprétation officielle évolue au fil des ans.
D'abord (en 1947), le droit de disposer d'une force de police et d'une force de réserve pour faire face aux troubles à l'ordre public (et à la "menace intérieure" communiste, pour tout dire) a été reconnu par le Japon et par l'occupant américain. Or dans cette première police et dans la réserve, on a rapidement trouvé bon nombre d'anciens soldats de l'Armée Impériale. En 1948, une force de "police maritime" y a été adjointe (elle est devenue l'Agence des Garde-Côtes du Japon d'aujourd'hui).
Puis (en 1953), ces forces ont été complétées par étapes par la création des Force d'Auto-défense, dont le périmètre d'action était très limité par le Traité de San Francisco de 1951 (schématiquement, ce périmètre se limitait au Japon métropolitain et aux îles Ryu-Kyu).
Puis, lors de la rétrocession d'Okinawa et des Bonin au Japon, le périmètre s'est étendu aux eaux qui entourent ces îles.
Pendant tout ce temps, des velléités de disposer d'un ou deux porte-avions ont vu le jour au Japon, mais elles ont été écartées par le gouvernement au nom de son interprétation de l'Article 9, selon laquelle les porte-avions étaient des armes offensives (Pearl Harbour était dans les mémoires).
Progressivement, dans les années 1972-1976, les Forces Maritimes d'Autodéfense ont étendu leur périmètre d'action : manoeuvres américano-japonaises aux Hawaii, escales à l'étranger, mission de pavillon, etc. au nom de l'entraînement à la protection des lignes de communication maritime (mission défensive, conforme dans l'esprit à l'interprétation de la Constitution).
Dans les années 1975-1990, c'est la modernisation de la flotte qui a surtout montré ce désir du Japon de revenir sur mer : le nombre de navires n'a pas significativement augmenté, mais chaque remplacement donnait lieu à des navires plus gros (cf. les destroyers porte-hélicoptères des classes Kurama et Shirane).
Et comme, jusqu'ici, la posture de défense était essentiellement orientée vers l'URSS et la Corée du Nord (défense terrestre de Hokkaido, protection des lignes de communication à proximité immédiate du Japon), la fin de l'URSS a débouché sur une décennie de vide stratégique : le Japon a continué à renouveler sa flotte mais sans savoir contre qui (je simplifie sans doute beaucoup...) De cette époque datent les navires amphibies type Osumi (abandon de la défense statique, préférence accordée à une défense mobile projetable) et les destroyers AEGIS.
Dans les années 2000-2010, il est apparu évident que la défense des lignes de communication maritime exigeaient de sortir du périmètre étriqué d'action des JMSDF. Cela a donné lieu à la construction des "destroyers porte-hélicoptères" DDH-19 classe Hyuga puis des DDH-22. Parallèlement, les Forces Maritimes d'Aurodéfense ont recommencé à se déployer très loin (présence en Océan Indien contre les pirates, base permanente de P-3C à Djibouti, multiplication des escales à l'étranger et des manoeuvres internationales, etc.) et des partenariats stratégiques ont été noués (avec l'Inde, notamment). L'Agence des Forces d'Autodéfense (anciennement rattachée au ministère de l'Intérieur, puisque c'était sensé être une force de police...) a été érigée en Ministère de la Défense à part entière.
Aujourd'hui, l'interprétation officielle de l'Article 9 veut que le porte-avions soit toujours une arme offensive, donc non conforme à l'esprit de la Constitution. Le ministère de la défense clame qu'il ne serait pas raisonnable que la marine japonaise se dote de porte-avions tant qu'elle sera limitée en personnel à 48 000 hommes (ce qui prouve que la question a été posée...). La presse spécialisée japonaise bruisse d'hypothèses qui permettraient au Japon de disposer d'un appui aérien local et limité en cas de grabuge : embarquer trois F-35 sur les Hyuga, six à dix sur les DDH-22 en plus d'hélicoptères, ce qui économiserait la construction de vrais porte-avions.
L'émergence de la force de porte-avions chinois, d'ici quelques années, va probablement faire évoluer la donne : trois ou six F-35 ne pèsent pas lourd en cas de menace par un groupe aéronaval sur les lignes de communication.
Rien ne dit qu'un futur gouvernement, et notamment celui qui sortira des élections anticipées du 16 décembre prochain, gardera la même interprétation de l'Article 9 (ce serait d'ailleurs idiot, vu que le monde change l'interprétation doit suivre sinon la doctrine de défense meurt). En tout cas, il est faux de croire que la Constitution interdit au Japon d'avoir des porte-avions.