Dolphins II : quand les sous-marins de la Marine israélienne remontent à la surfaceAlors que la guerre au Liban sud vient à peine de se terminer et que l’Iran poursuit impunément son programme nucléaire, la médiatisation de l’acquisition par Israël de deux sous-marins Dolphin II de fabrication allemande, provoque quelques grincements de dents. Le fait que l’Etat juif étoffe sa flotte de défense submersible suscite une certaine émotion. Menace directe à l’encontre de l’Iran ? Logique d’armement militaire ? Anticipation d’une guerre qui dépasserait le cadre étroit du Proche-Orient ? De quoi et pourquoi se dote Israël ?
Le président iranien envahit les médias de ses déclarations provocatrices. Il entraîne son pays dans la course à l’armement nucléaire. Ses experts parlent de développement civil, à défaut de programme militaire. Deux camps s’affrontent : ceux qui se préparent en secret à la guerre, et ceux qui s’arment pour espérer gagner la paix. Sous le regard effondré d’une communauté internationale qui semble avoir du mal à décider de la politique à adopter. Les puissances occidentales rechignent à avancer leurs pions sur l’échiquier politique mondial, hésitent, trébuchent, font volte-face et s’embourbent bien souvent dans des déclarations hasardeuses. Le chef de la diplomatie française n’a-t-il pas déclaré il y a peu que l’Iran était un facteur de stabilité dans la région ?
L’Allemagne, quant à elle, a ouvertement affiché sa sympathie à l’égard d’Israël, par la voix de sa chancelière Angela Merkel. Interrogée par le quotidien Haareztz, elle avait fait savoir : « Pour nous, les relations avec Israël sont un trésor précieux que nous devons préserver ». Il est vrai que les deux états n’ont de cesse que de renforcer leur coopération technologique. Ces dix dernières années, 20 000 scientifiques et étudiants israéliens ont travaillé avec des laboratoires allemands. Et depuis les années 80, l’Allemagne est devenue le premier partenaire commercial européen de l’Etat juif. Oui, mais de là à soutenir ouvertement la stratégie d’armement israélienne…
Et pourtant, ces derniers jours, tout se bouscule. La mise en avant de la vente de deux sous-marins supplémentaires, de type Dolphin II, agit comme une caisse de résonance. Une partie de la classe politique allemande s’offusque et dénonce un soutien abusif de Berlin envers Israël et surtout, un contrat qui permettrait à l’Etat juif d’étoffer son arsenal nucléaire. Le mot est lâché. Thomas Steg, le porte-parole du gouvernement Merkel a dû s’exprimer publiquement vendredi dernier pour tenter de calmer les esprits. Les deux sous-marins n’ont « rien à voir » avec la situation actuelle au Proche-Orient et la menace iranienne, a-t-il affirmé, et « ne seront pas construits ni équipés pour tirer des armes nucléaires, mais sont destinés à la guerre conventionnelle ».
Excessive ou pas, la contribution allemande envers Israël en matière d’armement militaire est bien réelle. Et avec les deux modèles Dolphin II en construction, Berlin, grand spécialiste des sous-marins depuis la Première guerre mondiale, met à la disposition de l’Etat juif, les plus perfectionnés de son industrie.
Israël et l’Allemagne : des retrouvailles scientifiques
Il est vrai que si Israël dispose à ce jour de 3, et bientôt 5 sous-marins, c’est grâce à la générosité de l’Allemagne. Rappel historique. En1990, à la veille de la guerre du Golfe, Ehoud Barak, alors chef-adjoint de l’Etat-major israélien annule les projets de submersibles de la Marine, qu’il considère ne pas être la réponse adaptée aux menaces qui planaient sur l’Etat juif. Cette décision lui sera vite reprochée puisqu’il apparaissait déjà clairement à l’époque que parmi les états hostiles à Israël, un au-moins – l’Iran - cherchait à se doter d’un arsenal nucléaire. 1991, l’Irak envahit le Koweït, la guerre éclate et Israël se retranche dans ses abris pour éviter les armes chimiques de Saddam Hussein, armes développées avec la complicité d’entreprises allemandes. Au total 39 Scuds tomberont sur le sol israélien. Berlin, qui voudrait tant oublier une fois pour toutes son lourd passé, est mal à l’aise. Le gouvernement d’Helmut Kohl décide de « donner » à l’Etat juif 2 sous-marins Dolphin I, le modèle dont le développement venait d’être stoppé peu avant. A la livraison du premier, en 1999, la Marine israélienne décide d’en commander un troisième, qu’elle achètera celui-là, pour 350 millions de dollars.
C’est à la fin des années 1970 qu’Israël avait commencé à modifier sa stratégie de déploiement militaire sur la côte Nord du pays. A l’époque, plusieurs attaques terroristes sont perpétrées par des hommes venus de la mer, dont l’assassinat de la famille Haran de Nahariya. La Marine installe alors un réseau très serré de radars et poste des navires de surveillance.
Avec ses 3 sous-marins Dolphin I, l’arme la plus coûteuse de son arsenal militaire, l’Etat juif peut ainsi patrouiller 24 heures sur 24 le long des côtes de la Mer rouge et de l’Egypte jusqu’à la Syrie. Mais selon l’hypothèse de travail qu’au-moins un submersible subit des travaux de réparation pendant que les autres sont opérationnels, Israël a voulu étoffer sa flotte.
Et l’infiltration d’un mystérieux sous-marin, en novembre 2005, qui s’était aventuré très près des côtes israéliennes a sans doute aussi contribué à renforcer cette décision. Il avait réussi à pénétrer à 4 kilomètres à l’intérieur des eaux territoriales, et à 18 kilomètres de la côte au large de Nahariya. Selon le Général Avraham Ben-Shoshan, « le sous-marin a fui dès qu’il a été découvert, il a donc failli à sa mission ». Mais même en fuite, ce sous-marin espion, à priori ami puisque selon l’armée israélienne il devait être « français, russe, américain ou italien » révèle l’importance pour l’Etat juif de protéger son littoral. A ce jour, l’Egypte - avec qui un traité de paix a été signé en 1979 -, est le seul pays arabe voisin d’Israël disposant de sous-marins.
Des négociations hésitantes
Les discussions en vue de la construction de deux nouveaux submersibles pour la Marine israélienne auraient débuté, il y a 3 ans, entre le ministère de la Défense de l’Etat juif et son homologue allemand. La date précise n’est pas connue, mais la signature définitive de l’accord aurait eu lieu le 6 juillet dernier selon le Jérusalem Post. Trois années se seraient ainsi écoulées entre l’origine et la concrétisation du projet. Il faut dire que le gouvernement allemand qui avait choisi de rester silencieux sur cette transaction a donné bien du fil à retordre aux négociateurs israéliens. La bonne volonté du chancelier Kohl semblait s’être un peu évaporée avec l’arrivée de Gérard Schröder en 1998. Car en Allemagne, les ventes d’armes à Israël sont très controversées. Surtout quand il s’agit de submersibles de type Dolphin, que l’on soupçonne destinés à des fins nucléaires… Et selon la presse allemande, c’est justement ce point précis qui aurait longtemps fait hésiter le gouvernement Schröder à sceller la vente, par crainte de menacer la sécurité au Moyen-Orient
En janvier 2005, l’idée de parvenir à un accord à court-terme semblait très compromise, indiquait un responsable israélien de la Défense. Pas d’angoisse nucléaire pour l’Etat juif, qui n’a jamais rien déclaré dans ce domaine, mais des blocages financiers. L’Allemagne semblait cette fois très décidée à ne plus faire de cadeaux aux Israéliens. Le litige portait sur le paiement de la facture. Israël attendait que Berlin prenne en charge une partie du financement, soit par une subvention directe ou une réduction, soit par la mise en place de prêts à long-terme sans intérêts. Mais le gouvernement allemand avait alors fait savoir qu’il ne participerait d’aucune façon à l’acquisition israélienne de nouveaux submersibles et que la vente serait réalisée au moyen d’une transaction commerciale directe.
Courant 2005, après de longs mois d’hésitation, un accord se précise, et beaucoup s’accordent à penser que la divulgation inattendue des négociations germano-israéliennes par les deux journaux allemands « Der Spiegel » et « Focus », et la volonté des deux pays de parvenir malgré tout à préserver leur riche partenariat économique et technologique, ont précipité sa signature.
Le 6 juillet 2006, la vente est alors conclue sous le gouvernement d’Angela Merkel qui avait toujours déclaré soutenir la transaction. Elle est estimée à 1,27 milliards de dollars - prix préférentiel annoncent certains - dont un tiers sera financé par l’Allemagne. Israël paiera le reste sur une période de 10 ans.
Le premier Dolphin II devrait être livré en 2010, et le second un an plus tard. C’est la société Howaldtswerke-Deutsche Werft AG (HDW) qui va construire les deux bâtiments dans ses usines de Kiel.
Une technologie de pointe
Les sous-marins de type Dolphin II sont une version améliorée des 3 submersibles déjà en activité de la Marine israélienne. Avec 10 mètres de long supplémentaires et 500 tonnes de plus que les anciens, ils pourront déplacer des charges pouvant peser jusqu’à 2 000 tonnes. Ils disposeront d’un système de propulsion diesel – nouvelle technologie allemande - qui devrait leur permettre une navigation lente et silencieuse et surtout, d’augmenter considérablement leur temps de plongée : ils disposeront d’un rayon d’action de 4 500 kilomètres, sans avoir à faire surface.
Ces nouveaux sous-marins seront pensés pour répondre particulièrement aux besoins de la Marine israélienne, et possèderont de réelles capacités opérationnelles. Outre leurs nouvelles performances de silence et d’autonomie, ils développent des qualités de vitesse avec une pointe maximale de 20 nœuds.
Autre caractéristique, humaine cette fois. Conçus pour un équipage de 35 hommes et pouvant accueillir jusqu’à 10 passagers, les sous-marins n’ont pas été équipés de dortoirs séparés, et seront donc interdits aux femmes.
Bâtiments de patrouille et de protection des côtes, les sous-marins pourront également toucher des cibles stratégiques à l’extérieur du territoire israélien. Le colonel Yoni, commandant en chef de la flotte sous-marine israélienne, flotte la plus secrète de l’armée, a affirmé que les submersibles pourraient être utilisés lors de missions à l’étranger. Un sous-marin peut permettre d’atteindre des objectifs inaccessibles pour l’armée de l’air ou l’infanterie, explique-t-il. Des dizaines d’opérations de sécurité ont déjà été effectuées par les sous-marins israéliens, mais elles restent secrètes, pour permettre à l’armée d’avancer sur ce terrain en toute confidentialité.
Parmi les clauses sensibles du contrat, il est stipulé que les systèmes de combat des sous-marins seront à la charge de fournisseurs israéliens. Ce qui représente 15 à 20% du coût total de construction.
Clause sensible, car les fameux systèmes de combat sont le nœud du problème. Après livraison des 3 Dolphin II, destinés à la patrouille et à la protection côtière, la presse internationale avait laissé entendre qu’Israël aurait modifié ses sous-marins, pour les équiper de têtes nucléaires. Des experts militaires du monde entier s’étaient alors penchés sur la question pour savoir si techniquement, ce procédé était possible. Le débat était lancé.
Les submersibles sont originellement dotés de six tubes de lancement, d’un diamètre de 533 millimètres. Mais ils auraient été équipés de 4 tubes supplémentaires d’un diamètre de 650 millimètres. Taille inhabituelle pour des lance-torpilles, qui laisserait supposer, selon les spéculations des médias, que l’Etat juif dispose de missiles nucléaires pointés vers les pays hostiles, tels que l’Iran ou le Pakistan.
La menace iranienne
Car c’est bien de l’Iran dont il est question depuis que la construction de ces 2 sous-marins Dolphin II agite le devant de la scène politique.
Certains experts militaires décèlent un lien étroit et un fort symbolisme dans cette vente qui survient au moment même où l’ensemble de la communauté internationale tente de mettre un terme au développement nucléaire iranien. Téhéran est considéré comme la menace nationale numéro 1 par Israël. Les services de renseignements occidentaux s’accordent à dire que l’Iran franchira d’ici peu le point de non-retour pour parvenir à la bombe atomique, même s’ils sont divisés sur la question de temps. Washington et Tel-Aviv regardent donc l’Iran avec une réelle suspicion. Mais aussi le Pakistan, qui mène une confrontation sans fin avec l’Inde, pays allié de l’Etat juif.
Selon Paul Beaver, spécialiste indépendant des questions de Défense, basé à Londres, « aucun pays n’est à ce jour aussi dangereux que l’Iran ». Et le comportement belliqueux de la République islamiste, assorti d’une capacité nucléaire, en fait une menace directe pour l’Etat juif.
Paul Beaver fait partie de ceux qui considèrent qu’en étoffant sa flotte sous-marine, Israël se pare ouvertement à toute éventualité nucléaire. Avec l’acquisition de submersibles, le pays renforce certes sa capacité de première frappe, mais étoffe surtout ses options de seconde frappe.
Une politique nucléaire israélienne ambiguë
Et c’est elle surtout qui agite l’opinion publique, cette fameuse « seconde frappe » dont se dote Israël.
La capacité de seconde frappe est essentielle pour dissuader un état de lancer une attaque nucléaire. Car si tel était le cas, l’état agressé, aurait la possibilité de répliquer et de détruire complètement le pays belligérant. Avec le développement d’un système d’armes indestructible en cas d’attaque nucléaire surprise, la guerre devient une menace militaire qui se résume à : si tu m’attaques ou me détruis, je te détruis aussi.
S’il n’y a pas eu de guerre nucléaire entre les Etats-Unis et la Russie, même aux pires moments de la guerre froide, c’est vraisemblablement parce que chacun des deux pays possédait cette force de dissuasion. C’est du moins la thèse communément avancée.
Avec ses sous-marins, quasiment impossibles à détecter, l’Etat juif pourrait avoir, quelque part au fond des océans, une capacité de riposte nucléaire intacte et immédiate. « Les Iraniens seraient complètement fous s’ils décidaient d’attaquer Israël », déclarent Paul Beaver. Et pour Michael Karpin, spécialiste de l’arsenal nucléaire israélien, « les sous-marins sont l’arme de défense idéale ».
Mais pour certains, le pouvoir de dissuasion n’a aucune valeur avec un régime comme celui de l’Iran. Téhéran est décidé envers et contre tout à posséder l’arme nucléaire, et sa logique de guerre pourrait fort bien ne pas s’inscrire dans la conception occidentale des valeurs rationnelles humaines ou morales. Pour David Menashri, expert militaire israélien, dans ce contexte, « l’achat des Dolphin II par Israël ne pèse pas lourd ».
Quant au premier intéressé, Israël, les nouveaux sous-marins contribuent à développer sa flotte submersible militaire. Il ne dit pas, bien sûr, vouloir se mettre à l’abri de toute velléité d’attaque nucléaire, car jusqu’à ce jour, il a toujours entretenu l’ambiguïté sur son propre développement atomique.
Fidèle à sa politique du mystère, alors qu’il est souvent considéré comme à la tête du sixième arsenal nucléaire de la planète, l’Etat juif ne mentionne pas les capacités présumées des deux Dolphin II. Sont-ils équipés de têtes nucléaires ? Pas de confirmation, pas d’infirmation..
Interrogé il y a quelque temps, le colonel Yoni, commandant en chef de la flotte sous-marine, s’est évidemment refusé à tout commentaire. « Nous devons rester vague sur tout ce qui concerne la sécurité de notre Etat », a t-il déclaré. Mais si la presse étrangère prend inconsciemment le relais et diffuse des messages qui vont de pair avec la politique dissuasive israélienne, il ne cherchera pas à s’y opposer. Car selon lui, les spéculations des médias sur la puissance nucléaire israélienne constituent en elles-mêmes une force de dissuasion, bénéfique pour Israël.
© Nathalie Blau – Jérusalem Post édition française n°807