Le sous-marin Jingei, troisième de la classe Taigei et qui vient d’être admis au service, est présenté comme une merveille de technologie par son fabricant. C’est l’occasion d’évoquer le premier Jingei, qui n’a pas reçu autant de lauriers aux premiers temps de la Marine Impériale Japonaise.
le Jingei de 1881 sur la fin de sa vie Mis sur cale le 26/09/1873, il est une des premières constructions du Chantier Naval de la Marine de Yokosuka, inauguré en 1872. C’est un des premiers navires de guerre japonais de construction autochtone. Sa construction est considérablement plus délicate que celle des anciennes jonques armées et elle prend du temps : lancement le 04/09/1876, mise en service le 05/08/1881. Le retour en France en 1875 de Léonce Verny, qui en avait tracé les plans, avait entretemps obligé le chantier à faire une pause dans sa construction. Pendant cette pause, l’ingénieur Thibozier décide de remplacer le gréement rois-mâts par un gréement de deux-mâts goélette.
Le Jingei a été conçu pour servir occasionnellement de yacht à l’empereur Mutsu Hito. Ses aménagements intérieurs sont plutôt luxueux. On y trouve par exemple un trône. Il est classé comme yacht dans « History of Early Modern Shipbuilding in Japan » (日本近世造船史明治, édité en 1973) et comme corvette dans « Conway's All The World's Fighting Ships, 1860-1905. ». Anecdote : ce qui a poussé Thibozier à supprimer un mât en 1876 est que le trône se serait retrouvé entre les haubans du mât arrière…
Le nom du Jingei n’était pas celui d’un animal existant. Il est formé en accolant deux kanjis qui signifient « baleine » et « agile » et fait référence à je ne sais quelle baleine mythique qui fendrait les flots avec aisance, un genre de roi de la mer qui sprinte pour déjouer les manœuvres des baleiniers.
La coque en bois est double. L’appareil propulsif est une machine à vapeur alternative à deux cylindres horizontaux de 1480mm de diamètre et 1600mm de course, alimentés en vapeur par quatre chaudières cylindriques donnant une pression de 3,1 bars. Cette machine dépasse manifestement ce que les Japonais savent faire dans les années 1870 : lors des premiers essais en mer (commencés en décembre 1877), il s’avère que les paliers de l’arbre de transmission des aubes surchauffent. Il fallut réduire la vitesse de rotation de 15 à 14 tr/mn, réduisant du même coup la vitesse de 7,5 à 7 nd en attendant le remplacement de l’arbre. Le 23 janvier 1880, le vilebrequin se casse, obligeant à le remplacer, ce qui retarde la mise en service de quelques mois supplémentaires. Sur les conseils de l’ingénieur mécanicien Francis Elgar, venu spécialement d’Angleterre, il faut également remplacer quelques éléments des chaudières sous-dimensionnés et incapables de tenir la pression. Avec le plein de charbon (260 tonnes), la flottaison se retrouve tellement enfoncée que cela gêne le fonctionnement des roues à aubes. Pour y remédier, on décide de réduire le stock de charbon à 180 tonnes, ce qui correspond à une autonomie de 6 jours et 6 nuits. Les essais à la mer de 1880 montrent que la coque vibre exagérément à forte vitesse et il faut renforcer la charpente et les attaches de la machinerie. Le 12 novembre 1880, les essais de vitesse permettent enfin d’atteindre 20 tr/mn et 10,5 nd en régime de croisière. D’ultimes modifications sont apportées et, le 4 février 1881, le Jingei à PMP atteint 23 tr/mn et 12,5 nd.
Extraites des « l'Histoire du chantier naval de Yokosuka », de l’« l'Histoire des moteurs de la marine impériale » et de « l'Histoire de la construction navale moderne au Japon, ère Meiji », les principales caractéristiques sont les suivantes :
- Déplacement 1450 tonnes
- Longueur 76m entre perpendiculaires, largeur 9,58 m au niveau des aubes, tirant d’eau moyen 4,41 m
- Puissance mécanique 1400cv, vitesse 12 nd
- Equipage 107 personnes avec possibilité d’accueillir 2 personnes supplémentaires pour des essais.
- Armement : quatre canons de petit calibre
Les travaux sont achevés en mars 1881 et le navire est enfin admis au service. Pour son voyage inaugural, le Jingei effectue une traversée de Yokosuka à Kōbe. Parti le 7 mars, il fait escale le 8 à Yokohama pour embarquer le directeur des essais, le contre-amiral Akamatsu puis il fait route vers Kōbe où il arrive le 9 à 21 h. Sur le trajet, le châssis de la machinerie a été endommagé et doit être réparé jusqu’au 21 mars. Sur le trajet retour vers Yokosuka, un bruit suspect est entendu dans le cylindre gauche le 23 mars, obligeant à effectuer une escale de quelques heures à Toba. Le Jingei arrive finalement à Yokosuka le 25 mars. Il y est placé en réparations qui durent jusqu‘au 29 juillet. Ce même jour, treize officiers élèves du corps des mécaniciens embarquent pour parfaire leur formation.
Le 13 août 1881, le Jingei quitte Yokohama pour rallier Hakodate (Hokkaidō) où il arrive le 16. Il effectue ensuite une série de brèves traversées et d’escales pour montrer le pavillon : Aomori du 22 au 29 août, Otaru du 30 au 31 août, encore Hakodate le 1
er septembre, Muroran du 2 au 5 septembre, puis encore Aomori et Hakodate. Le 7 septembre, il ramène l’empereur Mutsu Hito à Aomori. Il en repart (sans l’empereur) le 17 et regagne Yokosuka le 20.
Le 29 septembre, il part pour Kōbe, effectue des essais de moteur et arrive à Kōbe le 1
er octobre. Il en repart le 4 et rentre à Yokohama le 6. Il y reste quelques semaines. Le 15 mars 1882, il appareille de Yokohama et gagne Yokosuka où il bénéficie d’un entretien. Le 17 avril, il part pour une longue traversée jusqu’à Okinawa. Dès le lendemain, une de ses aubes est endommagée ; stoppé à la dérive, le Jingei aborde un navire de guerre américain dans la nuit du 18 au 19. Il arrive cependant à Kōbe le 19, y reste en travaux du 21 avril au 3 mai. Le 6 mai, il quitte Kōbe, arrive à Moji près de Hiroshima le 7 puis continue vers Nagasaki où il arrive le 10 mai. Il en repart le 13 et atteint Naha le 15 mai. Il en repart le 18, fait une brève escale à Naze puis regagne Kagoshima le 21. Il en repart le 24 mais une de ses aubes se brise encore le 26, le laissant encore à la dérive avant qu’il gagne le port de Shinami le 27 mais 1882.
Il gagne ensuite Yokosuka pour entretien et réparation du 4 au 16 août 1882. Le 20, il en repart, traverse le détroit de Shimonoseki et gagne Incheon en Corée le 28 août. Il y est au moment de la révolte de Keijo fin août 1882. Le 31, il quitte la Corée et retourne à Kōbe pour y être encore réparé du 4 au 20 septembre. Il regagne ensuite Yokohama le 22 septembre 1882.
Le manque de fiabilité de son appareil propulsif signe la fin de sa carrière navigante. Le 7 décembre 1882, la « baleine agile » est placée en réserve. En janvier 1886, il gagne Yokosuka où il est transformé en école des torpilleurs. Sa machine est déposée en novembre 1886. Il devient annexe de la nouvelle école des torpilles construite à terre le 1
er avril 1896. Il est finalement rayé des listes le 2 décembre 1903 et vendu à la ferraille le 25/01/1909.
Ainsi s’achève la carrière du premier Jingei, une carrière qui n’a pas été qu’un long fleuve tranquille. Le monde ne s’est pas fait en un jour.