Au hasard d’une flânerie dominicale dans le très vieux village de Bollène dans le Vaucluse limitrophe des baronnies drômoises, et plus précisément en remontant d’ouest en est la rue du Plan de Grignan, j’eus la surprise de tomber sur une plaque commémorant la naissance en une demeure qui a dû être cossue de Louis François de Faucher, 1715-1795, chef d’escadre qui commanda le débarquement en Corse en 1764.
La plaque Précisons pour les non-provençalophones qu’un plan est une place de marché et que le Plan de Grignan dont il est question ici était naguère une place hors les murs desservie par la route de Grignan à Orange devenue l’avenue Sadi Carnot. La rue du Plan de Grignan donne sur cette place par une porte du vieux Bollène que l’on peut encore admirer aujourd’hui.
La rue du Plan de Grignan (après la porte) telle qu’on la voyait au début du siècle précédent et telle que je l’ai photographiée en novembre 2023 La plaque et la façade de la demeure photographiées, la flânerie terminée, je fus fort marri de ne rien trouver sur ce sieur de Faucher dans la bibliothèque paternelle, d'où mon idée de combler cette lacune sur cet auguste forum.
La maison Faucher en 2023. La plaque qui a attiré mon attention est à gauche de la porte. De son vrai nom Louis-François de Faucher de Champredon, l’homme est né le 4 février 1715 dans une famille de petite noblesse originaire du village de La Bastide-d’Engras dans l’actuel département du Gard à quelques kilomètres d’Uzès. Les Faucher de Champredon s’installent à Bollène au XV
e siècle. Au XVI
e siècle, certains de ses membres occupent de hautes charges à la cour de Henri II, roi de France de 1547 à 1559. Le grand-père de Louis François, Pierre de Faucher de Champredon (? – 1694), est conseiller de l’ambassade de France à Rome sous Louis XIV.
Louis François entre dans la marine royale le 26 mars 1734 et intègre une compagnie de garde-marine. Il participe à diverses campagnes aux Antilles, sur les côtes d'Amérique, puis au Maroc. Il est fait Chevalier de Saint-Louis en 1754. Au début de la guerre de Sept Ans (1756-1763), il se distingue en 1756 à la prise de Port-Mahon, bastion britannique sur l'île de Minorque. Il est promu au grade de capitaine de vaisseau l'année suivante soit en 1757. Il prend le commandement du vaisseau Le Hazard. En 1764, il cumule ce commandement avec la charge de colonel de la brigade d’artillerie de Toulon.
La même année 1764, Louis François de Faucher est chargé de prendre possession de la Corse avec un corps expéditionnaire de 4 000 hommes. L’escadre du Levant dont une partie transporte le corps expéditionnaire sous le commandement de Faucher est commandée par Jean-Joseph de Rafélis comte de Brovès, que l’on retrouvera plus loin. L’île, alors érigée en République Corse par Pascal Paoli, s’est officiellement alliée à la Grande-Bretagne dans l’espoir que cette dernière la protège de la République de Gênes, ancienne puissance tutélaire dont elle s’est autoproclamée affranchie en 1755. En envahissant la Corse, Louis XIV vise à empêcher les Anglais de s’y implanter. Le succès de cette entreprise permet à Louis François de Faucher de Champredon d'être reçu par le Roi Soleil et d'obtenir le titre de marquis. En 1768, Gênes vend à la France ses droits sur la Corse, ce qui vaudra à notre pays d’avoir quelques années plus tard un empereur né en Corse et ardent promoteur des idées républicaines héritées de Pascal Paoli.
En 1770, Louis François participe à l’expédition contre la piraterie barbaresque menée par le même comte de Brovès. Les 4 et 5 juillet 1770, les villes de Bizerte, Tunis, Porto Farina, Tripoli et Monastir sont bombardées, de nombreux navires barbaresques et ottomans sont coulés et plusieurs commerçants français prisonniers des pirates sont libérés. La flotte s’étant divisée pour frapper en plusieurs endroits sans laisser aux pirates la possibilité de se regrouper, Le Hazard mène l’attaque sur Tunis. En 1771, M. de Faucher est promu brigadier des armées navales. En 1773, il est nommé commandant de la brigade de Toulon. Le 31 décembre 1777, par provisions signées du roi Louis XVI et du ministre de la marine Antoine Raymond Juan Gualbert Gabriel de Sartine, il est promu au rang de chef d'escadre puis, en 1786, à celui de lieutenant général des armées navales, le plus haut grade après les deux vice-amiraux des flottes du Ponant et du Levant. En cette même année 1786, au terme de cinquante-deux années au service du roi, il a soixante-et-onze ans, prend sa retraite assortie d’une belle pension de 7 000 Livres et se retire à Bollène. Il y vit des jours paisibles jusqu’à un jour de février 1795 où il meurt subitement, en pleine rue et à l’âge de quatre-vingts ans, après avoir refusé de nouer le lacet d’un soulier d’un révolutionnaire qui avait cherché à l’y obliger. Comme il ne s’était jamais marié, il n’a pas de descendance.
Flâneurs, soyez curieux, votre soif de comprendre vous fera parfois redécouvrir de belles pages de l’histoire de la marine royale.