Rapport armées / nation

Les temps changent. Un groupe de chercheurs de l’université de Kyōto a publié cet été chez Seikyusha une intéressante étude de 144 pages intitulée 日本社会は自衛隊をどうみているか que je traduis par « Comment la société japonaise considère-t-elle les forces d’autodéfense ? » dont les résultats montrent que le regard que les Japonais portent sur leurs forces armées n’a plus grand-chose à voir avec l’antimilitarisme béat hérité de la guerre de 1937-1945. L’étude s’appuie sur un sondage mené entre janvier et février 2021sur un panel représentatif de citoyens âgés d’au moins 15 ans. Elle est disponible auprès de toutes les bonnes librairies et sur les principaux sites de vente en ligne pour la modique somme de 3000 Yens (environ 23 €, hors frais de port). Je ne saurais trop recommander à mon modeste auditoire de pratiquer la lecture du japonais académique sur cet ouvrage très instructif. Je déflore nonobstant le sujet en révélant quelques chiffres.

Une des questions était : « Êtes-vous intéressé par les Forces d’Autodéfense ? » Les quatre réponses possibles ont obtenu les pourcentages suivants :

• Très intéressé : 10,6%
• Plutôt intéressé : 54%
• Pas très intéressé : 26,7%
• Pas du tout intéressé : 7,9%

D’aucuns auront relevé que près de 65% des sondés s’intéressaient plus ou moins aux forces d’autodéfense contre 35% qui disent ne pas s’y intéresser.

Les raisons de cet intérêt ont fait l’objet d’une autre question. Onze réponses étaient proposées. Les deux qui sortent le plus souvent sont « Je m'intéresse aux activités de secours menées par les Forces d'autodéfense en cas de catastrophe naturelle » et « Je m'intéresse aux politiques de sécurité et de défense du Japon ». Il faut dire que les occasions n’ont pas manqué depuis 2011 de voir les progrès réalisés par les Forces d’Autodéfense en matière d’organisation des secours, et que l’accroissement des tensions entre la Chine et plusieurs nations de la zone interpelle le sondé.

Une autre question directe portait sur la reconnaissance de la légalité des Forces d’Autodéfense. Quelque 80,9% des sondés ont répondu en reconnaissant cette légalité (avec deux degrés de reconnaissance), 17,2% ne se prononcent pas et seulement 1,7% ont nié la légalité des Forces. On n’est clairement plus dans les années 1960-70…

Plus bizarrement, 77,2% des sondés disent ne pas savoir que l’accroissement des capacités de défense du Japon résulte du Plan de Défense à cinq ans que le cabinet du Premier ministre prépare et met à jour chaque année. L’éducation civique du citoyen pèche : trois quarts des gens n’ont pas connaissance des mécanismes qui permettent au pouvoir politique d’adapter l’outil de défense, un peu comme si les forces armées étaient encore considérées comme un état dans l’état – ce qu’elles étaient assurément dans les années 1930.

Plus sensible était la question sur l’Article 9 de la Constitution de 1946 dont je commence par rappeler le contenu :
« Chapitre II. Renonciation à la guerre
Article 9. Aspirant sincèrement à une paix internationale fondée sur la justice et l'ordre, le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux.
Pour atteindre le but fixé au paragraphe précédent, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l'État ne sera pas reconnu. »
La question portait sur les modalités de modification de l’article 9. Les réponses sont assez partagées :

• 21,6% ne veulent pas modifier la constitution
• 51,1% préconisent d’inscrire le droit à maintenir des forces défensives, avec quelques variantes (non reconnaissance du droit de l’état à la belligérance, possibilité ou non de participer à la défense de nations alliées, etc.)
• 23,8% ne savent pas ou ne répondent pas
• 3% préconisent de supprimer l’article 9

Une autre question intéressante demandait aux sondés « Que pensez-vous que vous feriez si le Japon était impliqué dans un conflit armé ? » Les réponses montrent le rapport entre l’individu et l’institution militaire ou étatique :

• 30,1% avouent ne pas savoir
• 25,8% disent vouloir agir exclusivement pour leur propre sécurité ou celle de leur famille
• 13,5% s’engagent à agir selon les directives du gouvernement
• 10,1% n’est pas volontaire pour être mobilisé dans les forces d’autodéfense mais soutient les actions de ces forces.

Je ne vais pas résumer ici les 144 pages de cette très intéressante étude. Je vois dans les réponses une photographie assez réaliste de la société japonaise et des rapports entre les individus et toutes les formes d’organisation de l’état. J’y vois aussi un manque certain d’éducation politique et civique des sondés, et quelque part le fruit de l’escamotage du fait militaire pendant des années. Mais faites-vous votre idée vous-même, cela vous sera beaucoup plus bénéfique. Au passage, je me demande s’il existe une étude comparable sur le rapport des Français à leurs armées, mais n’y répondez pas dans cette rubrique japonaise.

Bonjour,

Intéressant et instructif.
Petite question: L'article 9 de la Constitution japonaise de 1946 était-il d'inspiration exclusivement nationale ou avait-il été, même partiellement, "dicté" par les Vainqueurs ?

Les allemands, à l'époque (1949), la seule RFA, avaient, également, publié une série d'articles constitutionnels fondés sur ce qu'ils appelaient, alors, "l'Etat de Défense du Territoire", qui autorisait, certes,par l'article 12a, le service militaire national, mais avait posé problème, plus tard, quand, en tant que membre de l'OTAN, l'Allemagne avait été sensée intervenir dans le conflit yougoslave, donc, pour la première fois hors de son territoire; sans évoquer, pour autant, ses liens particuliers & spécifiques avec certaines "provinces" ou "nations" de l'ex-Yougoslavie et les divergences qui étaient, alors, apparues, notamment, avec la politique française.

Loïc Charpentier a écrit:

(...)Petite question: L'article 9 de la Constitution japonaise de 1946 était-il d'inspiration exclusivement nationale ou avait-il été, même partiellement, "dicté" par les vainqueurs ? (...)

Dicté n'est pas le mot. Inspiré me paraît mieux.
En fait de vainqueur source d'inspiration, on peut même dire "inspiré par le général McArthur" et ses idées sur le Japon. Cette inspiration ne se limite pas à l'article 9, d'ailleurs : le rôle de l'empereur est celui voulu par McArthur, par exemple.

Mais le Japon a jusqu'ici respecté la constitution "inspirée" par les vainqueurs contrairement à l'Allemagne qui des les années 1950 et encore plus avec la réunification a largement retrouvé toute sa souveraineté.

NIALA a écrit:

Mais le Japon a jusqu'ici respecté la constitution "inspirée" par les vainqueurs contrairement à l'Allemagne qui des les années 1950 et encore plus avec la réunification a largement retrouvé toute sa souveraineté.

Oui. la Diète l'a même défendue contre plusieurs tentatives de modification. Ce n'est pas parce qu'elle a été inspirée par McArthur qu'elle est mauvaise.

NIALA a écrit:

[…] contrairement à l'Allemagne qui dès les années 1950 et encore plus avec la réunification a largement retrouvé toute sa souveraineté.

« toute » ? Non ! "car un village, etc."

En fait la RFA était alors sous surveillance étroite… même et surtout après son entrée dans l'Otan.
Comme l'avait précisé la boutade de lord Ismay Ismay : « L'Otan est conçue pour maintenir l'URSS hors de l'Europe, pour mettre les USA dedans, et l'Allemagne en dessous. »

C'est pour cela que j'ai précisé "encore plus après la réunification" depuis 1990, je pense que l'Allemagne a toute sa souveraineté, tout au moins celle qu'elle n'a pas déléguée à l'Europe tout comme nous d'ailleurs, en entrant dans l'Europe on perd forcément une partie de sa souveraineté.

NIALA a écrit:

C'est pour cela que j'ai précisé "encore plus après la réunification" depuis 1990, je pense que l'Allemagne a toute sa souveraineté, tout au moins celle qu'elle n'a pas déléguée à l'Europe tout comme nous d'ailleurs, en entrant dans l'Europe on perd forcément une partie de sa souveraineté.

Globalement exact.

Mon observation sur sa souveraineté limitée portait essentiellement sur le plan militaire.
Tout comme celle des Nipponais, la loi fondamentale de la RFA a longtemps interdit toute action militaire offensive.
Résultat d'un Diktat des forces d'occupation ? URSS incluse ?

Et encore maintenant. Même et surtout dans l'Otan.

En tout cas, l'ami Ismay le boutadait bien :  

« The purpose of the Alliance is to keep the Russians out, the Americans in, and the Germans down… ».

Souvenons-nous que l'Otan a pour origine le Traité de Dunkerque (4 mars 1947) motivé par la crainte d'une renaissance de l'impérialisme allemand.