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émouvant !!!! Sujet : Fwd: tr: Janvier 2012 en Afghanistan à l'HMC KAIA Kaboul -------- Message original -------- Sujet: tr: Janvier 2012 en Afghanistan à l'HMC KAIA Kaboul Bonjour à toutes et tous, Ci-joint un témoignage très intéressant sur l'action menée par le Service de Santé dont les acteurrs méritent un vrai coup de chapeau. Amitié à tous > Objet : Janvier 2012 en Afghanistan à l'HMC KAIA Kaboul > > Médecin militaire en AFG ! > > Kaboul, Afghanistan 15 -25 Janvier 2012 > > Tout avait pourtant bien commencé : escale Tadjik sous la tente, le > temps de goûter un peu de caviar (pas cher mais de mauvaise qualité !) > puis accueil chaleureux à l'arrivée à Kaboul : l'équipe quittante > était-elle heureuse de nous voir ou de repartir dans l'heure ? ils > resteront en fait bloqués 24h par la neige et le givre. > > Dès le lendemain, chacun prend ses consignes et trouve sa place. Avec > mon prédécesseur, qui reste 8 jours, nous regardons les dossiers en > cours, le contenu des 3 ordinateurs (1 pour tout ce qui concerne le > franco-français, un OTAN non classifié et un OTAN/ISAF very secret). > > Puis, comme je le lui avais demandé, il me présente aux personnes > importantes : chef du camp (un général Roumain), médecin chef OTAN (un > médecin US assisté d'un dentiste allemand (d'origine égyptienne !). > Dès le dimanche, 1ère sortie dans Kaboul pour se rendre au QG de > l'ISAF (International Security and Assistance Force) qui est le bras > armé de l'OTAN ici. Rencontre avec le Général 4* qui commande : un > général français, brillant, à l'accueil chaleureux : le contact est > excellent. Je retrouve Kaboul comme je l'avais laissé il y a 2 ans : > grouillante d'une foule bigarrée, couverte de poussière, embouteillée. > > Le lendemain, lundi, nouveau déplacement, cette fois vers l'hôpital > américain de Bagram, à 60km au nord de Kaboul : la route serpente au > cœur d'une plaine glacée d'où émergent quelques fermes en pisé, en > terre battue et bordées de part et d'autre de sommets vertigineux : > nous sommes dans l'Hindou Kouch, aux confins de l'Himalaya. On croise > quelques camions multicolores et surchargés. > > Visite de l'hôpital, qui ressemble à s'y méprendre au nôtre : la > taille, l'équipement sont similaires : il y a un peu plus de médecins, > mais nous n'avons pas à rougir de notre dispositif, au contraire. Là > encore, accueil chaleureux, échange de cartes de visite au cas où nous > aurions besoin l'un de l'autre. Brève visite au détachement français > basé là et qui s'occupe des drones : la guerre moderne est stupéfiante ! > > Au retour, nos chauffeurs (toujours 2 véhicules blindés, tout le monde > est équipé et armé) s'égarent et on se retrouve dans les faubourgs > chics de Kaboul avec des maisons multicolores d'un kitch saisissant, > un wedding center dégoulinant de néons : pour les connaisseurs,on > dirait un gâteau de Serge ! > > Le soir, rencontre avec l'ambassadeur de France, là encore un monsieur > brillant, à l'écoute attentive, puis dîner à l'ambassade avec consul, > secrétaires, attachés : les 2 infirmiers qui sont avec nous découvrent > un aspect de la ville qu'ils n'imaginaient pas et pour tous ces gens > qui vivent sur place, avec malgré tout une certaine tension ambiante, > chaque visite est précieuse. > > Le mardi, rendez-vous au camp français situé à une quinzaine de > kilomètres du nôtre pour y rencontrer les gens (officiers ou médecins) > avec qui je vais régulièrement travailler : j'ai le plaisir d'y > retrouver un de mes anciens internes. Le soir, présentation à toute > l'équipe du principe du plan Mascal (massive casuilties) : que faire > en cas d'afflux de blessés : c'est peut être ma seule crainte :que > l'on soit dépassé par les évènements. Et dès le mercredi, je programme > un premier exercice pour que chacun trouve sa place. Un autre est > programmé pour vendredi 20. Le soir, nouvelle sortie Kaboulite, cette > fois pour dîner dans une maison en ville, avec une dizaine d'officiers > français insérés dans le pays : dîner afghan dans unejolie villa, > conversations détendues, je retrouve des gens déjà rencontrés lors de > précédents séjours. Certains sont là depuis 2 ans : on parle de > terroir, de voyages et puis de la situation locale. Le retour au > milieu de la nuit se fait dans un Kaboul désert, sillonné de > patrouilles de police. Dans le véhicule, bien que les hommes qui nous > ramènent soient des hommes de terrain habitués à côtoyer le danger, la > tension est palpable : nous savons que depuis quelques heures, le > risque d'une attaque au camion piégé, voire d'une infiltration > d'insurgés est très élevé. Il y a de l'orage dans l'air. > > Le jeudi, c'est la cérémonie de passation de commandement : je prends > officiellement mes fonctions au cours d'une brève cérémonie militaire. > Me voilà en place, mon prédécesseur, un peu triste de partir, commence > à faire ses bagages. > > Vendredi matin, dès 8h, je prends possession des lieux, range le > bureau pendant que se déroule la visite dans le service de soins et > que les dernières démarches administratives des uns et des autres sont > en cours. Le Vendredi, ici, c'est « day off » : c'est dimanche,un > minimum d'activité prévue, sport, repos. > > Personne ne le sait, mais dans moins d'une heure, nous allons tous > entrer dans le tunnel qui nous mènera de l'autre côté du miroir de > l'humanité?? > > 9h40: je reçois un appel du médecin chef de la brigade française qui > est chargée de contrôler les vallées au nord est de Kaboul: une > attaque vient d'avoir lieu dans un petit camp : il y aurait 4 morts et > 14 blessés dont 8 extrêmement graves, tous français. Il y a un seul et > jeune médecin sur place : il courait avec le groupe quand ils se sont > trouvés face au tueur. Dès la fin du feu, il a donné l'alerte, > organisé les secours, prodigué avec des auxiliaires sanitaires les > premiers soins (son infirmier fait partie de victimes), sauvé àcoup > sûr 5 de ses camarades. Ce qu'il a réalisé est exceptionnel ! > > Le détachement d'hélicoptères français basé à côté de notre hôpital > est mis en alerte et aussitôt, le médecin décolle. > > Le plan Mascal est déclenché : ce ne sera pas pour exercice. > > En 10 mn, tout le personnel, français, tchèque, belge, bulgare,US est > à son poste, le matériel vérifié. > > L'hélicoptère d'évacuation médicale prend en charge 2blessés graves : > il redécolle, évite de justesse une roquette !!! et, moins d'une heure > après l'attentat, les 2 premiers blessés arrivent à l'hôpital : leur > état est critique mais, des brancardiers aux réanimateurs, tousles > gestes s'enchaînent dans le calme, avec une grande fluidité, comme si > tous travaillaient ensemble depuis toujours : cela m'évoque un instant > ces équipages de course au large où la manœuvre se fait quasiment en > silence dans une parfaite coordination. > > En moins de 10mn, les évaluations sont faites, les gestes de > réanimations pratiqués, les blessés stabilisés, le premier scanner est > lancé. > > 5 autres blessés sont attendus : la même procédure se renouvelle et, > très sereinement, le chirurgien chef propose une pause pour un mini > staff afin de décider qui passera au bloc en premier (il y a 3 > salles) : il s'agit de décider de façon collégiale en fonction des > données recueillies par chaque équipe : en effet, une fois une > intervention débutée, c'est parti pour 2 à 5 heures : il ne faut donc > pas se tromper. > > 13h00, les blocs démarrent : ils ne s'arrêteront que 12h plus tard. > > Il faut du sang. Les réserves ne vont pas suffire. Comme cela est > prévu, nous lançons un appel à donneurs volontaires : en une demi- > heure, plus de 60 personnes de toutes nationalités, se présentent : > bel exemple de solidarité ! > > Afin d'éviter d'être saturé, une partie des blessés aété évacuée vers > l'hôpital américain. J'appelle mon homologue : nous ne pensionspas > avoir à collaborer si tôt ! j'envoie un de mes médecins sur place pour > faire la liaison, apporter un réconfort moral et commencer à organiser > le transfert secondaire vers notre hôpital : en effet, j'ai demandé > l'évacuation rapide du maximum des victimes en faisant appel à l'avion > « Morphée » : un Boeing aménagé en Samu volant et pouvant emporter > jusqu'à 12 blessés graves dont au moins 6 sous ventilation > artificielle. Il sera là dès samedi matin. > > Effectivement, dans l'après midi et jusque dans la nuit, 5 des 7 > blessés peuvent être ramenés : le médecin du détachement hélico qui > les ramène fait un travail remarquable puisque qu'il sort des patients > d'un lit de réanimation pour les mettre dans son appareil et nous les > amener stables. > > En soirée, alors que les blocs tournent toujours, que les réanimateurs > se démènent, arrivent l'aumônier et les corps des soldats morts. > > Je me charge, avec une équipe de volontaires, de l'examen des corps. > Les gendarmes font leurs constatations. Malgré l'aspect des lésions, > malgré l'émotion, chacun reste d'une dignité exemplaire. > > J'accueille les Chefs de ces soldats : ils ont extrêmement affectés. > Avec leur soutien, j'organise une chapelle ardente dans l'hôpital : > nous avions fait pareil il y a bientôt 20 ans à Sarajevo. > > Mais leur émotion légitime et leur gestion des conséquences sur le > terrain est déjà parasitée par la dimension médiatico-politique venue > de France : certains politiciens se sont déjà emparés de l'évènement > et tentent de l'instrumentaliser : nous ne sommes pas dans le même > monde! > > La nuit va être courte et de piètre qualité. > > Samedi > > 6h00 : dernier point avec les réanimateurs : les traits sont tirés. > Morphée se pose dans 40mn. On commence à préparer les malades et à > organiser le transfert en débutant par les moins graves : ils > commencent à raconter l'horreur qu'ils ont vécue. > > 7h00 : Morphée est posé malgré la neige : ouf. > > Moins de 24h après l'évènement, à plusieurs milliers de km de la > France, la chaîne de prise en charge créée par le Service de Santé a > parfaitement fonctionné. Visite rapide de l'avion : impressionnant ! > Un vrai service de réanimation volant. Surveillance de l'embarquement > des blessés. > > 8h00 : rapide vérification de l'hôpital : tout est en ordre. > > 9h00 : je retrouve sur le tarmac l'ambassadeur et les officiers > généraux. Là encore, nous ne pensions pas nous retrouver de sitôt : > nous nous dirigeons vers l'Airbus qui vient de se poser pour > accueillir le Ministre de la Défense. Très grave, ce dernier se dirige > aussitôt vers l'avion où embarquent les derniers blessés et va les > saluer. Il se dirige ensuite directement vers la chapelle ardente : le > temps de recueillement est long, l'émotion, silencieuse, est intense, > partagée par tous, le piquet d'honneur est impeccable, l'aumônier lit > un psaume. > > 10h00, petite collation avec l'ensemble de l'équipe : paroles > chaleureuses, félicitations du Ministre pour le travail accompli par > la chaîne Santé. > > Pendant ce temps, Morphée a décollé, mais un patient a du être > débarqué car instable: nouveau bilan : rien de majeur. > > 11h00 : il faut organiser au plus tôt l'évacuation des 2 blessés > lourds restant chez les US et du nôtre : quelques coups de fil, > quelques mails et 2 Falcon vont décoller dans la nuit de dimanche et > seront là lundi matin. En effet, les conditions météo ne le permettent > pas avant. > > 12h00 : Tout le monde est fatigué, mais le sentiment du devoir > accompli atténue la peine et la fatigue. Heureusement. > > 12h30 : appel du médecin régulateur qui se trouve avec la brigade > française dans la montagne : des opérations sont en cours : 4 civils > afghans viennent d'être blessés : peut-on les prendre en charge? la > réponse immédiate est OUI. > > Une heure plus tard 2 hélicos nous amènent 2 hommes, un enfant de 12 > ans et une jeune femme : leur état est gravissime : ils seront tous > les 4 intubés d'emblée. Bilan, scanner, staff, bloc : la procédure est > rodée. Un des hommes décédera 24h plus tard et l'enfant le surlendemain. > > Dimanche : > > 10h00 : Nouvel appel : une petite fille de 10 ans, une balle dans la > tête : notre réanimation est pleine. Il faut la diriger d'emblée vers > l'hôpital US. Hélas la météo est trop mauvaise, les hélicos ne volent > pas : le père de l'enfant mettra sa fille à l'arrière d'une voiture > pour 60km de mauvaises routes de montagne, sous la neige et la glace : > nous n'aurons pas de nouvelles. > > 12h00 : cérémonie sur la base > > Lorsque le clairon a retenti sur la place recouverte d'un linceul > blanc de neige, devant les 4 cercueils tricolores de gens lâchement > assassinés parce qu'ils faisaient leur devoir, les centaines d'hommes > et de femmes rassemblés pour leur rendre hommage ont frissonné et pas > seulement de froid. La Marseillaise chantée a capela par tous a pris > alors la forme d'une prière républicaine. > > Lundi : > > 10h00 : Les 2 Falcon arrivent : c'est limite pour se poser, mais le > pilote s'impose et se pose. > > Départ de notre dernier blessé français. Fin de l'épisode. > > 14h00 : à nouveau 4 civils afghans : un enfant de 10 ans qui passera > 4h au bloc pour qu'on puisse lui sauver la jambe ; sa mère, > polycriblée ; son cousin grièvement blessé au visage, un voisin avec > la main quasi arrachée. Ça devient la routine. > > Mardi : > > Cette fois, il s'agit d'un simple différent familial ou de voisinage, > ce qui revient parfois au même : l'honneur était en jeu : une grenade > a été jetée : une fillette de 7 ans, son frère de 12 et leur grand- > mère nous arrivent un peu plus tard : ils garderont des séquelles > leurs jours durant même si les chirurgiens ont fait tout ce qui était > possible. > > 17h00 : j'organise un débriefing des jours précédents. Quelques mots, > une minute de silence : nous sommes sortis du tunnel. > > Ce soir, les filles de l'équipe ont organisé un cours de danse de > société : ça peut paraître surréaliste, mais la vie reprend le dessus > et c'est heureux! > > Énumération de faits bruts, bien évidemment encore chargés d'émotion : > qu'y a-t-il à analyser dans ce pays où l'idéologie et le cynisme > conduisent à toutes les lâchetés et à tous les crimes? > > Où l'honneur vaut plus que la vie d'un enfant ? > > Nos valeurs ne seraient-elles pas aussi universelles que nous nous > complaisons à le dire ? > > Bien sûr, de nombreux afghans sont sensibles à nos valeurs de justice, > de fraternité, de liberté. Ils tiennent aussi à leur culture. Mais il > semble toutefois qu'ils ne soient que la minorité, les urbains. > > Combien de temps faudra-t-il à ces populations des campagnes et des > montagnes, qui continuent à vivre selon des rites ancestraux, où la > famille et le clan priment sur toute autre organisation sociale pour > adopter d'autres valeurs ? Remplacer l'honneur et le déshonneur par le > bien et le mal ? Mais le souhaitent-ils seulement ? Le duel et la > vendetta ont persisté dans l'Europe chrétienne et des lumières > jusqu'au XXème siècle ! > > Quelle voie moyenne et étroite pourra-t-elle être trouvée ? > > Quelle qu'elle soit, elle nécessitera du courage politique, ici à > Kaboul, comme dans les autres pays impliqués dans ce conflit, de la > pédagogie plus que de la force et surtout du temps. > > > Fabien Zagnoli