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 La saga des Vikings

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Paul-Émile
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Paul-Émile


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MessageSujet: La saga des Vikings   La saga des Vikings EmptyMer 22 Nov 2023, 19:31

« La saga des Vikings » de Joël Supéry (éditions Autrement, ISBN 978-2-7467-4651-0) ne se contente pas de reprendre, de synthétiser ou de dézinguer les très nombreux écrits existants sur les marins guerriers du nord. Il rétablit la saga non pas dans une succession de razzias ne visant qu’un pillage par nature épisodique et désordonné mais bien dans une véritable guerre commerciale qu’ont livrée les divers peuples du nord sur le territoire fracturé issu du démembrement de l’empire carolingien.

La saga des Vikings Lasaga10

Par un retour aux sources, Supéry montre que les Vikings commencent à s’établir en Gascogne, et plus précisément autour de Bordeaux, dès 840, soit avant la prise de Rouen (841) et de Nantes (843). Cette installation prouve que les Vikings ne se comportent pas en simples pillards mais en conquérants. A partir de leurs bases, ils conquièrent une bonne partie de la Gascogne et s’y établissent.

De même, les Vikings qui remontent la Seine en 845 ne viennent pas de Scandinavie mais du Cotentin où se sont installés depuis 836.

En Aquitaine, les hommes du Nord poursuivent leur expansion : victoire de Saintes en 845, siège de Bordeaux en 847-848 se terminant par la prise de la cité. Après une pause pour se consacrer aux opérations en Bretagne et au nord de la Loire, les Vikings repartent en campagne en Aquitaine contre le royaume de Charles le Chauve (petit-fils de Charlemagne) en 855, prennent Poitiers tandis que l’offensive se déploie plus au nord sur Rouen, Beauvais, Evreux, Orléans et Paris, mettant Charles le Chauve en mauvaise posture. On n’est pas dans une série de pillages païens de grands lieux de la Chrétienté, on est dans une guerre raisonnée de conquête qui se développe dans le temps. En 856, le royaume de Charles est au bord de l’effondrement. En 858, Charles reconnaît Björn, fils de Ragnar, comme roi de Gascogne en échange de son hommage. C’est ainsi que Ragnar puis Björn devancent Rollon d’un demi-siècle dans la création (en Normandie) d’un espace Viking en terre carolingienne – un fait longtemps ignoré par l’histoire de France.

Commence alors la grande expédition Viking en Méditerranée, en 858, après une première incursion en 844 sur Perpignan en prolongement d’un raid sur Lisbonne, Cadix et Séville (incursion qui, en montrant aux Sarrasins d’Espagne qu’ils pouvaient être attaqués de plusieurs côtés, font entrer les Vikings dans les écrits musulmans).

Quoi qu’on ait écrit sur elle, l’expédition méditerranéenne de 858 n’est pas un simple raid de pillage : elle met initialement en œuvre plus de cent navires et dure cinq années jusqu’en 852, années de campagnes coupées de quatre hivernages pendant lesquels les forces vikings s’arrêtent de naviguer. Elle comprend trois phases :
  • la guerre mauresque contre l’émir de Cordoue, pendant laquelle la flotte barbaresque n’empêche pas les Vikings de prendre pied des deux côtés du détroit de Gibraltar et aux Baléares pour en chasser les pirates qui alimentent l’émir en butin ;
  • la guerre rhodanienne pour le contrôle de la basse vallée du Rhône et de la Provence, qui commence par une installation en Camargue (859) puis qui voit tomber Arles, Nîmes, Valence et Romans-sur-Isère qui assurent aux hommes du nord la maîtrise des points de passage franchissant le Rhône et les Alpes et qui leur permettent de poursuivre leur avance vers l’est : Pise, Luna et Fiesole (Florence) entrent dans leur orbite ;
  • la guerre byzantine contre Venise et Constantinople, inquiétée en 860 par une imposante flotte viking qui écume ensuite la Méditerranée orientale pour obtenir des traités.

L’ensemble de cette vaste campagne vise à détourner vers le royaume viking de Gascogne et les cols pyrénéens les routes commerciales qui partent du Liban, passent par Constantinople et l’Italie avant de remonter la vallée du Rhône. Il ne s’agit aucunement d’une simple razzia : la Camargue devient la base permanente de la flotte viking en Méditerranée.

Le commerce que les Vikings de Björn Ragnarsson cherchent à accaparer par cette épopée hors normes est d’abord celui des esclaves, capturés aux marches païennes de l’empire carolingien : saxons vendus à Verdun, acheminés via le Rhône vers l’Espagne mahométane, slaves d’Ukraine vendus à Kiev et transitant via Constantinople vers la même destination, victimes des guerres claniques d’Irlande revendues au plus offrant. A cette époque, l’église n’a pas encore mis le holà à ces pratiques. Les Sarrasins sont avides de « bétail humain » et le paient cher. Les autres marchandises transportées par les Vikings (ambre, fourrures, armes) rapportent beaucoup moins. La déportation d’esclaves européens ou slaves ne cessera qu’en 980 : elle sera alors remplacée par celle de Mameluks.

Björn revient de son expédition méditerranéenne en 862, après une des plus grandes réussites maritimes, logistiques et militaires de l’histoire médiévale. Mais alors qu’i rentre en Scandinavie auréolé de sa gloire, il est surpris par une tempête en mer du Nord, se réfugie en Angleterre où il est blessé dans une embuscade ; il réussit à reprendre la mer et à rejoindre la Frise où il meurt de ses blessures.

Asgeir, frère d’armes de Björn, poursuit son œuvre en Gascogne : il prend Périgueux, Angoulême, Limoges et Poitiers en 863, puis Toulouse et Rodez l’année suivante. Il est cependant vaincu (et probablement tué) en 864 par le comte d’Anjou Robert Le Fort sur la Loire. Quelques batailles plus tard, qui s’achèvent par la victoire viking de Brissarthe en 866, c’est la fin de la première guerre viking en terre franque. Deux grands territoires restent aux mains des Vikings : la Gascogne aux successeurs de Ragnar, Björn et Asgeir, les pays de Loire et le Cotentin au chef Hastein. En outre, d’autres Vikings occupent des terrains sur la baie de Seine.

L’accalmie est de courte durée. La deuxième guerre viking commence en 865 quand les frères et alliés de Björn s’en prennent à l’Angleterre pour venger ce dernier. La guerre se déplace outre-Manche et la disparition des grands chefs qu’ont été Ragnar, Björn, Asgeir et de leurs alliés bretons et aquitains évite pour un temps le conflit à la Francie. Commandé par trois frères de Björn, le corps expéditionnaire défait les Northumbriens en 867, les Est-Angliens en 869 mais perd beaucoup d’hommes en tentant de s’emparer du Wessex. Les Vikings se rattrapent en prenant la Mercie. En 876, après une trêve de cinq ans, le Wessex échappe encore une fois au désastre parce qu’une tempête providentielle détruit une part importante de la flotte viking ; la victoire terrestre d’Ethandun en 878 voit l’écrasement des assaillants vikings. La paix de Wedmore en 878 laisse la Northumbrie (porte vers l’Irlande) ainsi que les estuaires de la Tamise et de la Dee aux mains des Vikings.

Après avoir ainsi sécurisé les routes maritimes entre Dublin et York, Les Vikings essaient logiquement de sécuriser celle entre York et Bordeaux. La guerre revient en Francie en 878. Quand le corps expéditionnaire viking revient sur le continent, il trouve la situation changée : les Francs ont profité de l’accalmie pour fortifier villes et ponts. Pour les Vikings, la partie est moins facile que celle pendant laquelle ils n’avaient affronté que des forteresses datant d’avant Charlemagne et passablement délabrées. Mais Charles-le-Chauve est mort en 877 et pas moins de cinq rois lui succèdent en Francie en onze années, créant une instabilité des alliances dont les Vikings essaient de jouer.

Comme ils l’ont fait en Gascogne puis en Angleterre, ils choisissent les estuaires pour tenter leur chance : celui du Rhin-Meuse-Escaut, celui de la Somme et celui de la Seine. Ils commencent par la Frise, s’imposent à l’embouchure du Rhin en 882 et de là s’en prennent à la Picardie et à la Flandre sans grand succès. Un autre groupe essaie de s’installer en baie de Somme avant de remonter la Seine et de tenter d’assiéger Paris en 886 ; comme on le sait, ce siège échoue grâce à la résistance du comte de Paris, Eudes. En 887, les Vikings se replient vers l’estuaire de la Seine qu’ils n’ont pas réussi à s’approprier. Dans l’estuaire de la Somme également, les offensives vikings s’enlisent. Jusqu’en 910, les Vikings pullulent dans le royaume franc et y mènent de nombreuses exactions, pas toujours victorieuses : elles impliquent plusieurs dizaines de milliers d’hommes, manifestement venus d’Aquitaine et non descendus de Scandinavie en drakkars. En 911, un certain Rollon qui serait un descendant de Björn Ragnarsson assiège Chartres sans succès. Malgré cet échec, le roi franc Charles le Simple propose la paix à Rollon et lui abandonne Rouen, clé de l’estuaire de la Seine tant convoitée par les Vikings (traité se Saint-Clair-sur-Epte, 911). Rollon comte de Rouen, c’est le début de la Normandie, mais ce n’est absolument pas le début de la saga viking, laquelle dure déjà depuis un siècle et demi.

En 920, Rollon cède son rôle de chef et son titre au plus capable de ses fils, Guillaume Longue-Épée lequel finit assassiné en 942. Richard, son fils, n’a que dix ans et la Normandie se retrouve convoitée à son tour par les Francs. En 945, alors que ces derniers ont réussi à reprendre Rouen, Richard ne doit son salut qu’à l’intervention massive d’une puissante flotte venue de Gascogne via Cherbourg et commandée par Harald, un des descendants de Björn Ragnarsson. La guerre de conquête des Vikings est une affaire de dynasties et d’alliances.

Puis, de 930 à 980, les historiens anglais constatent une accalmie dans les raids vikings sur leur archipel. Les raisons de cette accalmie ne doivent rien au pacifisme béat : en fait, les vikings de Gascogne préparent une nouvelle action contre l’Ibérie mahométane. Ils reconcentrent et reconstituent leur flotte à cette fin. En 965 et 966, ils s’en prennent à Lisbonne. En 966, une de leurs flottes est mise en déroute sur la côte andalouse par la flotte qu’Abd-al-Rahman III a fait construire depuis les années 950 pour dénier aux Vikings de Gascogne le contrôle de la mer Méditerranée occidentale. A terre aussi, les Vikings gascons connaissent des difficultés, et le jeu des alliances leur devient défavorable. Une campagne meurtrière de représailles (pour une rupture d’alliance) des Vikings contre Saint-Jacques-de-Compostelle en 968-969 leur fait perdre l’appui des seigneuries chrétiennes d’Aquitaine ; par mariage, la Navarre s’allie aux héritiers des comtes de Gascogne qui intriguent pour récupérer leurs terres. En 970, la reconquête des terres vikings par les Francs commence. Le paganisme des Vikings et leur attaque sur Saint-Jacques-de-Compostelle cristallisent la chrétienté contre eux. L’église se mobilise, les seigneurs francs s’arment et densifient leur réseau de places fortes. Finalement, les Vikings gascons sont écrasés en 982 à la bataille de Taller. C’en est pratiquement fini de la présence viking en Aquitaine, la traite des esclaves européens vers les provinces sarrasines cesse brutalement au profit d’une traite d’esclaves nord-africains, preuve que les Vikings ont perdu la maîtrise de la mer face aux flottes barbaresques. Le marché aux esclaves de Rouen périclite et ferme. La Gascogne revient dans le giron des Francs.

Le reste de la saga viking est déjà connu : le duc Guillaume de Normandie s’empare des îles anglaises à la suite de la bataille de Hastings en 1066. L’affaire est tellement connue et documentée que Joël Supéry ne l’aborde pratiquement pas dans son livre, focalisé sur l’histoire de la Gascogne viking de 840 à 992.
 
Au-delà de la reconstitution de la saga gasconne des Vikings, l’intérêt du livre tient dans la présentation de la démarche qu’a suivie Joël Supéry pour abattre les cloisonnements disciplinaires, géographiques et chronologiques ainsi que les biais de perception qui avaient contraint les écrits antérieurs sur les hommes du Nord. Retour aux sources, critique des méthodes et des lectures, croisements interdisciplinaires pour réfuter ou conforter les analyses : la démarche et les arguments sont riches d’enseignements méthodologiques. J’ai déjà lu des livres qui, au-delà du récit qu’ils portent, enseignent sur la méthode qui a présidé à leurs analyses. Je n’en citerai que deux : « Les paysans de Languedoc » d’Emmanuel Leroy-Ladurie et « L’invention de l’Europe » d’Emmanuel Todd. J’y ajoute désormais « La saga des Vikings » de Joël Supéry.

Voilà comment j’ai résumé en l’équivalent de trois pages A4 les 210 pages du livre de Joël Supéry (hors annexes), sans chercher à m’écarter de ses hypothèses et de ses reconstitutions. Qu’on adhère ou non à ses raisonnements, la saga des Vikings ne saurait être réduite à de simples raids anarchiques de rapine, et ses chefs ont été de remarquables stratèges et chefs de guerre, bien plus de des chefs de gang, et le volet maritime de leur histoire les rend dignes de figurer sur ce forum. J’espère vous avoir donné l’envie de lire ce livre si ce n'est déjà fait.

https://www.autrement.com/la-saga-des-vikings/9782746746510
Taper « Joël Supéry » sur Youtube mène à plusieurs vidéos didactiques que l’auteur a réalisées sur la saga.

Oui, c'est encore un exposé scolaire recyclé. Mr. Green
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pascal
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MessageSujet: Re: La saga des Vikings   La saga des Vikings EmptyJeu 23 Nov 2023, 08:32

Pour compléter

2e conférence d'un cycle de rencontres de l'IRSEM sur la projection de puissance, les expéditions vikings

https://www.youtube.com/watch?v=DKKmczBILjg

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Paul-Émile
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MessageSujet: Re: La saga des Vikings   La saga des Vikings EmptyJeu 23 Nov 2023, 12:59

Et voilà ! Je cite Emmanuel Leroy-Ladurie et un jour après on annonce sa mort .
Crying or Very sad
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MessageSujet: Re: La saga des Vikings   La saga des Vikings EmptyJeu 23 Nov 2023, 13:18

pascal a écrit:
Pour compléter
2e conférence d'un cycle de rencontres de l'IRSEM sur la projection de puissance, les expéditions vikings
https://www.youtube.com/watch?v=DKKmczBILjg

A celles z'et ceux qui découvrent le sujet, je conseille de commencer par la vidéo citée par Pascal avant de lire le livre de Supéry.
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MessageSujet: Re: La saga des Vikings   La saga des Vikings EmptyJeu 23 Nov 2023, 20:25

Paul-Émile a écrit:
pascal a écrit:
Pour compléter
2e conférence d'un cycle de rencontres de l'IRSEM sur la projection de puissance, les expéditions vikings
https://www.youtube.com/watch?v=DKKmczBILjg

A celles z'et ceux qui découvrent le sujet, je conseille de commencer par la vidéo citée par Pascal avant de lire le livre de Supéry.

La saga des Vikings Smiley_a, pour la référence écrite évoquée, effectivement, de qualité thumright.
Cà fait, au bas mot, 170 ans, que bon nombre d'historiens français, certes, le plus souvent méconnus, ont largement développé - sous des formes de narration plus ou moins indigestes à lire! lol! - les origines et l'installation de "tribus" scandinaves, aussi bien en Aquitaine, qu'en Normandie, dans un empire faible "hérité" de Charlemagne, qui, lui-même, durant son règne, faisait, déjà, part de sa grande inquiétude, face aux incursions régulières et profondes des flottes vikings, sur les rivages et territoires attenants de la Mer du Nord, de la Manche et de l'Atlantique. La saga des Vikings 00a35
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