L’idée de construire un navire-hôpital fait son chemin au Japon. Le 19 mars 2020, Takeda Ryōta, ministre de la Prévention des Catastrophes Naturelles (si, si, c’est un ministère au Japon) s’est déclaré favorable à sa construction. Le 5 mars, le Conseil de Promotion de la Construction des Navires de Soutien Polyvalents et des Navires Hôpitaux, que ledit ministère partage avec celui de la Défense, avait préconisé la construction d’un navire-hôpital de 200m de long capable d’accueillir 500 malades. Le navire devrait être achevé en 2023.
L’idée n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été évoquée après le grand tremblement de terre de mars 2011, suivi d’un tsunami qui avait ravagé les côtes du nord-est du Japon et qui avait complètement déstructuré les chaînes de secours. A l’époque, elle avait été écartée sous prétexte qu’un tel navire aurait été sous-utilisé, les catastrophes de grande ampleur n’étant heureusement pas fréquentes. La crise du coronavirus a amené à réviser ce jugement.
Le paquebot mixte HIKAWA MARU réquisitionné comme navire-hôpital
pendant la guerre sino-japonaise puis pendant la guerre du Pacifique Le ministre fait remarquer que, dans le passé, la marine japonaise disposait de plusieurs navires hôpitaux spécialisés tels le HIKAWA MARU, aujourd’hui conservé comme musée à flot dans le port de Yokohama, et que les infirmeries des navires actuels de la Force Maritime d’Autodéfense ne sont pas à la hauteur d’une catastrophe majeure. Il souligne que plusieurs nations de la région telles que le Vietnam, l’Indonésie, la Russie et la Chine ont des navires hôpitaux dont certains dépassent les 10 000 tonnes.
Le ministre explique que le Japon n’a ni les moyens ni le besoin de construire un navire aussi grand que les MERCY américains (de 70 000 tonnes…), et se range derrière l’avis dudit Conseil. Un navire doté d’une capacité de 1000 lits immobiliserait trop de personnel médical pour un usage par nature ponctuel, et les effectifs budgétaires des services de santé des forces d’autodéfense ne sont pas dimensionnés pour cela.
Le plus grand hôpital militaire du Japon a une capacité de seulement 500 lits. C’est cette capacité qui a été retenue pour dimensionner le futur (et pour l’heure hypothétique) navire-hôpital. Le personnel médical de ce navire proviendrait en partie du secteur privé, mais des formations et des stages d’accoutumance seraient à prévoir pour habituer les médecins et les infirmiers à travailler à bord d’un navire. Il faudrait du temps et des moyens pour qualifier tout le personnel nécessaire. Le ministre prévoit des difficultés mais appelle à les surmonter. Il appelle aussi la Diète (qui a demandé la construction d’un navire comparable au MERCY) à augmenter les effectifs militaires de santé, ce qui n’est prévu ni dans le budget de la Défense 2020 ni dans le plan à cinq ans.
A titre de comparaison, pour une capacité totale de 2000 lits, les MERCY et COMFORT américains, qui ne sont pas censés être déployés en même temps, font appel au personnel médical de l’immense San Diego Naval Medical Center, dont les quelque quatre-vingt-neuf bâtiments offrent 2600 lits et déploient 1200 médecins. Le plus grand hôpital du Japon, l’hôpital universitaire Fujita, n’a que 1435 lits qui occupent déjà son personnel à 80% en régime normal : il est évident qu’un navire japonais de 1000 lits serait disproportionné s’il devait s’appuyer sur un seul centre. Même avec une capacité de 500 lits, le futur navire-hôpital devrait faire appel à plusieurs centres hospitaliers pour lui détacher du personnel. La mise en place de plusieurs partenariats spécifiques serait à prévoir, de manière à ne pas devoir improviser en cas de catastrophe. Le ministre appelle à établir la liste des hôpitaux civils qui pourraient être intéressés par ces partenariats ; s’ils ne sont pas en nombre suffisant, et si l’idée était écartée d’augmenter les effectifs militaires de santé, l’idée du navire-hôpital devrait être abandonnée.
La solution pourrait être dans un compromis gagnant-gagnant entre augmentation des effectifs militaires (qui pourraient être occupés en temps normal au profit des zones sous-dotées en hôpitaux) et mise en place de partenariats avec le milieu civil. La balle, si l’on ose dire, est dans le camp de la Diète.