Une courte biographie du capitaine de vaisseau Tameïchi Hara, célèbre commandant de destroyers pendant la Guerre du Pacifique.
Hara Tameïchi (原 為一 en japonais) est né le 16 octobre 1900 dans un faubourg de Takamatsu, dans la préfecture de Kagawa qui est située sur la côte nord de l’île de Shikoku sur la Mer Intérieure. Dernier né d’une fratrie de cinq enfants (3 garçons et 2 filles), il est issu d’une famille de samouraïs ruinés par la dissolution de leur caste à la fin de l’ancien régime en 1871.
Ses parents vivent sur une exploitation agricole microscopique, qui n’atteint pas les 5000m² de surface et qui a été attribuée à sa famille lors de la disparition des samouraïs. Pour faire vivre sa famille, son père travaille la nuit à fabriquer des outils qu’il vend ensuite.
Le grand-père de Tameïchi, Hara Moichiro, était né en 1830 et avait été samouraï dans sa jeunesse au service des seigneurs de Takamatsu. Âgé de 70 ans à la naissance de Tameïchi, c’est lui qui le garde et qui l’élève pendant que ses parents grattent la terre ou essayent de gagner un peu d’argent. Il exerce une grande influence sur le jeune garçon. Il meurt quand Tameïchi a six ans, en recommandant à son petit-fils préféré de perpétrer l’honneur de la famille dont il est issu et en lui faisant tenir son sabre de samouraï.
Rentré à l’école primaire l’année d’après, le jeune garçon fait preuve d’assiduité. Il est le premier des enfants Hara à ramener un tableau d’honneur (réservé aux premiers de classe) à la maison. Voyant cela, ses deux frères, de huit et dix ans ses aînés et qui travaillent déjà quand Tameïchi termine ses six années d’école primaire, persuadent leurs parents de permettre à leur petit frère d’aller au collège. Il passe donc l’examen d’entrée et est l’un des cinq gamins de son école à y être admis.
À la sortie du collège, cinq and plus tard (mars 1918), compte tenu de la pauvreté de sa famille, il ne peut continuer ses études qu’en s’inscrivant dans une institution d’état : école normale pour faire instituteur, ou bien école militaire pour servir dans les forces armées. En digne descendant de samouraïs, il choisit la seconde voie et présente par sécurité les deux concours d’entrée à l’académie navale d’Etajima et à celle de l’armée à Tōkyō.
Et c’est ainsi que, le 26 août 1918, Hara Tameïchi entre comme cadet de la 49
e promotion de l’académie navale d’Etajima. Il en sort le 16 juillet 1921, classé 40
e sur 150, sans garder un bon souvenir de son passage à Etajima.
Après une campagne d’application à bord du vieux croiseur cuirassé YAKUMO (mis sur cales en 1898), il reçoit une première affectation sur le croiseur cuirassé KASUGA, commandé par le capitaine de vaisseau Yonaï Mitsumasa, et participe aux dernières opérations de la guerre civile russe en Sibérie.
Puis, d’avril à décembre 1923, il suit les cours de l’école de spécialité des officiers torpilleurs de Yokosuka. Pas très bien classé à sa sortie, il embarque sur le destroyer HATSUYUKI (classe KAMIKAZE de 1905), basé à Port-Arthur. Pour la première fois, l’enseigne de vaisseau Hara y est lâché comme chef de quart à la mer.
Puis, promu lieutenant de vaisseau de 2
e classe en décembre 1924, il sert une année à bord du destroyer SANAE qui était alors pratiquement neuf (classe WAKATAKE, mis en service en novembre 1923), toujours en Mandchourie. Puis, en décembre 1925, il est nommé chef du service navigation du destroyer AMATSUKAZE (classe ISOKAZE, mis en service en 1917), basé à Kure.
Promu lieutenant de vaisseau de 1
e classe en décembre 1926, il retourne à l’École des Destroyers de Yokosuka. Ces cours sont destinés aux officiers remarqués par leurs supérieurs et appelés à devenir de futurs commandants de destroyers.
Puis il sert deux années comme officier torpilleur adjoint à bord du destroyer SUSUKI (classe MOMI de 1919) dans l’escadre de Chine, d’où il assiste au début de la guerre civile chinoise qui va entraîner l’intervention japonaise en 1928.
Il se marie à Tōkyō le 25 mai 1929 à l’occasion d’une escale du SUSUKI à Yokosuka et d’une permission de deux jours. Puis il reprend sa vie itinérante d’officier de la Marine Impériale, ne voyant son épouse que quelques fois par an.
Six mois plus tard, il est nommé chef du service torpilles du destroyer AKIKAZE (classe MINEKAZE de 1920) où il reste une année avant d’occuper le même poste sur le destroyer FUBUKI – son premier navire moderne – où il se fait remarquer du commandant d’escadrille, le capitaine de vaisseau Nagumo Chuichi qui le pousse à préparer le concours de l’École Supérieure d’État-Major.
Mais Hara Tameïchi a d’autres projets : pendant trois ans, il repense toute la théorie du torpillage qu’on lui a enseignée (et qui datait d’avant 1914), rédige un manuel complet du torpillage qu’il réussit à faire publier au printemps 1932. L’affaire fait sensation, et en cette même année 1932 la Marine Impériale fait éditer un nouveau manuel d’instruction basé sur ses travaux.
Tournant le dos à une carrière d’état-major, Hara Tameïchi est nommé instructeur à l’école des torpilles en septembre 1932. En quelques mois, il révolutionne la pratique du torpillage et les résultats de ses théories ne tardent pas à se faire sentir : le taux de coups au but lors des exercices augmente significativement (à l’époque, chaque destroyer effectuait un lancement d’exercice par semaine, en moyenne).
En 1933, le contre-amiral Kishimoto Kaneji et le capitaine de vaisseau Asakama Toshihide des services techniques de la marine mettent au point la célèbre torpille Type 93 Longue Lance propulsée par un mélange de paraffine et d’oxygène, qui décuple les capacités offensives des destroyers et des croiseurs de la Marine Impériale. Alors que les modèles précédents devaient être tirés à 2000m du but pour avoir une chance de faire but, la Longue Lance a une portée maximale de près de 22 000m à 49nd, permettant aux destroyers de la lancer en salve à plus de 5000m avec d’importantes chances de succès. La Longue Lance avait d’autres avantages : une charge explosive de 500kg apte à vaincre toutes les protections pare-torpilles de l’époque, et une absence complète de sillage.
À partir de la classe FUBUKI, les destroyers nippons reçoivent des télémètres stabilisés et des calculateurs électromécaniques pour diriger leurs lancements de torpilles, et leurs équipages commencent à s’entraîner très sérieusement au combat de nuit, mettant au point des tactiques de groupe d’attaque massive à la torpille contre les escadres adverses.
C’est alors que la flotte des destroyers japonais commence à apparaître non plus comme une force de seconde ligne, sur laquelle le Japon a été obligé de se rabattre parce que les traités de limitation d’armement lui ont interdit de se doter d’autant de cuirassés et croiseurs qu’il l’aurait souhaité, mais comme un des fers de lance de sa flotte de surface.
Le 15 novembre 1933, Hara Tameïchi est promu capitaine de corvette. Il est le premier de sa promotion à l’être, et le plus jeune officier supérieur de la Marine Impériale. Il est aussi papa de deux filles.
Le 1
er novembre 1934, à la fin de sa période d’instructeur, il prend son premier commandement à la mer : celui du destroyer NAGATSUKI (classe MUTSUKI), rattaché à la Flotte Combinée.
Deux ans plus tard, il prend le commandement du destroyer AMAGIRI (classe FUBUKI II). C’est à ce poste qu’il connaît son baptême du feu le 23 août 1937, quand la 20
e division de destroyers à laquelle appartient l’AMAGIRI effectue un raid entre Nagoya et Shanghai (1000 milles marins à 20nd sur deux chaudières pour économiser le carburant) pour y transporter en urgence un contingent de 1200 fusiliers marins. Arrivé à quai à Woosung, l’AMAGIRI est pris à partie par des mitrailleuses postées sur le toit d’un immeuble situé à une cinquantaine de mètres. Il riposte de ses six pièces de 127mm qui ont rapidement raison des tirs chinois.
Les semaines suivantes, l’AMAGIRI participe à des missions de blocus le long de la côte chinoise, sans y rencontrer la moindre opposition. Le boulot se résume à inspecter quelques jonques (rarement plus d’une par semaine) et à couler celles qui se livrent à du trafic d’armes ou de matériel de guerre.
Lors du retour au Japon de l’AMAGIRI en novembre 1938, Hara Tameïchi est promu capitaine de frégate et prend le commandement du destroyer YAMAGUMO (classe ASASHIO), flambant neuf. À son bord, il retourne en Chine reprendre ses missions de blocus, jusqu’à ce que la division du YAMAGUMO soit affectée en mars 1939 à la base navale de Chinhae en Corée, où elle parfait son entraînement.
En novembre 1939, pour la deuxième fois de sa carrière, Hara Tameïchi est affecté à terre, à la base navale de Maïzuru. Cette fois, il s’agit de former les capitaines de bateaux marchands à la navigation en convoi, aux communications de guerre et à la protection anti-sous-marine. On est alors à deux ans de Pearl Harbor, mais la guerre a déjà éclaté en Europe.
Puis, en avril 1940, il prend le commandement du nouvel AMATSUKAZE (classe KAGERŌ) de la 16
e division de destroyers rattachée à la 2
e flottille de destroyers.
Au début de la Guerre du Pacifique, la 2
e flottille est basée à Palaos. L’AMATSUKAZE escorte le RYŪJYŌ lors de ses opérations de contrôle des eaux au sud des Philippines, puis participe à la prise de Davao, de Menado, de Kendari, d’Ambon, de Timor et enfin de Java. Il prend part à la bataille de la Mer de Java le 27 février 1942, puis participe à la prise des îles Christmas avant de rentrer à Kure pour une période de maintenance.
Il part ensuite à Saïpan dans les Mariannes, d’où il part pour la bataille de Midway comme escorte du convoi de transports de débarquement. Après l’annulation de l’opération, il rentre au Japon où il passe de la 2
e à la 10
e flottille de destroyers, rattachée à la 3
e Flotte basée à Truk.
De là, il participe à la bataille des Salomon Orientales (où il recueille une partie des rescapés du RYŪJYŌ le 24 août 1942), effectue avec le YUKIKAZE une reconnaissance armée de l’île de Ndeni dans l’archipel des Santa Cruz, participe à la bataille de Santa Cruz (26 octobre 1942) puis à la première bataille de Guadalcanal (12 et 13 novembre 1942) à l’occasion de laquelle il torpille et coule le destroyer USS BARTON mais est endommagé par les tirs du croiseur HELENA.
L’AMATSUKAZE rentre alors à Truk puis à Kure pour y être réparé.
Le 10 janvier 1943, après deux ans et dix mois passés au commandement de l’AMATSUKAZE, Hara Tameïchi est nommé commandant de la 27
e division de destroyers. Il porte sa marque sur le destroyer SHIGURE (classe SHIRATSUYU), commandé par le capitaine de corvette Yamagami Kamesaburō.
Hara Tameïchi est promu capitaine de vaisseau le 1
er mai 1943.
Le SHIGURE ne tarde pas à connaître le feu et prend part à de nombreux engagements dans les Salomon : escorte de convois, évacuation de Guadalcanal, retour à Kure puis encore à Truk, Express de Tōkyō vers la base d’hydravions de la baie de Rekata (Santa Isabel) le 27 juillet 1943, puis vers Kolombangara le 1
er août.
Le SHIGURE est l’un des quatre destroyers à échapper à la bataille de Vella Gulf les 6 et 7 août. Il participe ensuite à la bataille de Horaniu les 17 et 18 août, puis effectue encore deux Express de Tōkyō sur la baie de Rekata fin août et une mission de transport vers Tuluvu et Buka en Nouvelle-Guinée, en septembre.
Puis il effectue des missions de transport à Kolombangara (fin septembre et début octobre 1943) avant de prendre part à la bataille de Vella Lavella les 6 et 7 octobre 1943, pendant laquelle il endommage gravement le destroyer USS SELFRIDGE. Viennent ensuite quatre missions de transport en Nouvelle-Guinée. Le SHIGURE prend part à la bataille de la baie de l’Impératrice Augusta (Bougainville) le 2 novembre 1943 sans y être endommagé.
Le SHIGURE et le SAMIDARE à la bataille de Vella Lavella, le 7 octobre 1943 Au cours de ces opérations, Hara Mineïchi se signale par son franc-parler, surtout quand on lui demande de répéter une tactique déjà employée : pour lui, cela équivaut à un suicide inutile, il ne faut jamais répéter une manœuvre qui a réussi.
Le SHIGURE essuie sans dégât l’attaque aérienne américaine sur Rabaul le 2 novembre 1943, mais il est en si piteux état après 10 mois d’opérations soutenues sans entretien sérieux qu’il doit rentrer à Sasebo pour y être réparé et modernisé. Un accueil triomphal est fait à Sasebo à Hara Tameïchi, pour tous les succès qu’il a eus avec sa 27
e division de destroyers et le SHIGURE.
Il ne repart pas avec son navire, toutefois, et est nommé instructeur à l’école des torpilles de Kawatana près de Yokosuka. En fait, il s’agit de former les équipages des nouvelles vedettes lance-torpilles que le Japon espère construire en grand nombre.
Après la bataille de Leyte, il devient clair que les vedettes lance-torpilles ne seront jamais construites, mais remplacées par des engins-suicide, ce qui navre l’officier pour qui le devoir du samouraï est de vivre et de combattre tant qu’il peut, pas de se suicider.
Le 20 décembre 1944, Hara Tameïchi prend le commandement du croiseur léger YAHAGI. Il assiste à ses dernières modernisations (fusées de proximité, torpilles à autodirecteur, conduite de tir radar, rajout de pièces de DCA légère) mais les restes de la flotte japonaise ne bronchent pas quand les Américains débarquent sur Iwo Jima en février 1945.
La dernière sortie du YAHAGI – et du capitaine de vaisseau Hara en tant que commandant à la mer – est l’opération TEN-GO, ultime sortie du YAMATO sous faible escorte au cours de laquelle le YAMATO, le YAHAGI et les destroyers ASASHIMO, HAMAKAZE, ISOKAZE et KASUMI sont coulés.
Hara Tameïchi prend alors le commandement de l’école de Kawatana, qu’il a quittée sans regrets cinq mois plus tôt. Une centaine des engins-suicide sont utilisés en opérations à Okinawa, sans aucun succès.
Après la guerre, Hara Tameïchi n’arrive pas à s’habituer à la vie de terrien. Il reprend du service dans la marine marchande, mais n’a jamais oublié les grandes heures qu’il a vécues comme commandant de destroyer pendant pratiquement toute la guerre.
Il a été l’un des très rares commandants de destroyer en poste au moment de Pearl Harbor à survivre à la guerre.
Il écrit un premier livre en 1955 : 帝國海軍の最後 - 矢矧艦長の実戦記録 (les derniers moments de la Marine Impériale – journal d’opérations du commandant du YAHAGI), puis un deuxième, beaucoup plus complet que le premier, en 1962 : 帝國海軍の最後 (les derniers moments de la Marine Impériale, qui retrace presque tout son parcours), tous deux édités par Kawade.
En 1961, ses mémoires sont traduits en anglais par Fred Saito et complétés par Roger Pineau, et publiés par Ballantine Books aux USA sous le titre
Japanese destroyer captain (commandant de contre-torpilleur japonais, dont le titre français est devenu
Torpilleurs du Soleil Levant).
Il ne s’y montre tendre ni avec le système de formation de la Marine Impériale, ni avec le processus de sélection de ses cadres. Il y déplore la médiocrité de certains de ses chefs, leur inaptitude au combat, leur habitude de se cantonner à répéter les tactiques et les manœuvres sans chercher à innover ou à s’adapter aux circonstances, bref de ne rien avoir compris à l’art de la guerre des samouraïs, pour qui l’improvisation et la prise de l’adversaire par surprise allaient de pair avec la perfection technique du geste.
En filigrane, on relève également dans ses livres l’impréparation et l’aveuglement de la Marine Impériale dans quelques domaines qui allaient s’avérer cruciaux : mise au point et utilisation du radar, logistique de soutien et d’entretien de la flotte, etc. Dès 1943, Hara avait compris que le Japon allait perdre la guerre, et en 1944 il n’a pas hésité à porter une pétition enjoignant à l’empereur de renvoyer les amiraux et les généraux incapables et à s’engager sur la voie de la paix – un geste insensé pour un officier supérieur à cette époque. Ses livres restent, soixante-dix ans après la guerre, d’irremplaçables témoignages d’un des rares survivants de cette épopée que fut la Guerre du Pacifique.
Hara Mineïchi est mort le 10 octobre 1980.