CUIRASSES CLASSE MARCEAU
(FRANCE)Le cuirassé Marceau dans son état d'origine INTRODUCTION Henri Dupuy de Lôme et la naissance du cuirassé A la fin du 18ème siècle, la marine française, «La Royale» est à son sommet grâce à un roi passionné de géographie et de marine, Louis XVI. La révolution met ce bel édifice à terre, la majorité des officiers issus de la noblesse émigrent, désorganisant les navires aux équipages gagnés par la fièvre révolutionnaire et chaque sait que révolution et discipline militaire font rarement bon ménage. Résultat, la supériorité de la Royal Navy n'est guère inquiétée même après le retour à la discipline et la bataille de Trafalgar marque définitivement l'échec napoléonien sur mer.
Sur le plan technique, la construction navale se heurte à de sérieuses limites en matière de taille car bien plus que l'acier, le bois est un matériau vivant qui travaille limitant la taille des navires ce qui limite en conséquence la puissance offensive. La voile qui domine depuis le 16ème siècle est limitée par la force du vent qui limite les possibilités de manœuvre et le choix du «terrain».
L'industrialisation que connait l'Europe au 19ème siècle ne tarde pas à avoir d'impact sur la guerre navale, une véritable révolution touche les marines européennes et dans une moindre mesure la marine américaine. La vapeur fait son apparition avec par exemple le Napoléon en 1850 tout comme le blindage acier, une réponse aux obus explosifs Paixhans dont l'effet est dévastateur sur les coques en bois qui pourtant pouvaient résister aux boulets pleins du Grand Siècle.
Napoléon III Avec Napoléon III, la France à la chance d'avoir un empereur qui s'intéresse sincèrement à la marine renouant avec Louis XVI (qui n'hésitait pas à lire les œuvres de James Cook en anglais).
C'est ainsi qu'un programme naval est lancé en 1857 qui prévoit dans le projet originel,la construction de 150 navires : 40 vaisseaux à hélice, 20 frégates et 90 corvettes et avisos sans parler de navires annexes : canonnières, transports, garde-côtes et batteries flottantes. Le projet évolue et au final prévoit la construction de 40 frégates cuirassées, 20 corvettes cuirassées, 30 frégates corvettes et avisos, 125 bâtiments de flottille, 75 transports et 30 garde-côtes et autres batteries flottantes.
Henri Dupuy de Lôme Protégé par l'Empereur, Henry Dupuy de Lôme influencé par une mission en Grande Bretagne en 1842 où commence la construction navale en fer, dessine et fait construire le Napoléon _un vaisseau à vapeur rapide_ puis des batteries flottantes à structure en bois et cuirassé en fer. L'étape suivante est la construction de navires de haute mer sur le même modèle.
Maquette de la frégate cuirassée GloireLe futur Gloire est mis en chantier en mai 1859 à Toulon, lancé le 24 novembre 1859 et armé en août 1860. La conception de ce navire est plutôt hardie puisque ce navire censé être à la pointe de l'Escadre ne dispose que d'une batterie de 28 canons de 30 rayés plus 4 canons de 30 sur les gaillards avant et arrière. Les essais comparatifs avec des vaisseaux plus classiques montre que le Gloire tenait mieux la mer.
L'apparition de La Gloire provoque une grave inquiétude de l'autre côté de la Manche, un membre de la chambre des Lords s'écriant que «l'une de ces frégates cuirassées au milieu de nos vaisseaux en bois pourrait faire le ravage d'un loup dans une bergerie».
La Royal Navy ne tarda pas à réagir commandant le Warrior qui était bien plus gros (127m contre 77m) avec une structure en acier et une cuirassé en acier. La France tarda à passer à la structure en fer construisant après les Gloire (Gloire Normandie et Invincible) une série de frégates cuirassées.
Le cuirassé/frégate cuirassée Magenta. Elle explosa en 1875 dans le port de Toulon alors qu'il était chargé d'antiquités carthaginoisesAux Gloire succédèrent les Magenta (Magenta et Solférino) plus gros et mieux armés mais toujours à structure en bois avec blindage. Les Flandre qui suivirent étaient des descendantes des Gloire et même si l'une d'elle, l'Héroïne introduisait la structure en fer, les neuf autres (Flandre, Magnanime, Savoie, Surveillante, Valeureuse, Gauloise, Guyenne, Revanche et Provence) restaient fidèles à la structure bois/blindage acier.
Les trois frégates classe Océan (Océan, Marengo et Suffren) apparues en 1869, 1870 et 1873 étaient encore à structure bois/blindage acier tandis que le Frieland et le Richelieu étaient pour le premier structure et blindage acier et le second structure bois/blindage en acier. Enfin les derniers cuirassés Colbert et Trident étaient encore en bois et en acier à croire que la France était incapable de passer à la construction tout acier.
La Jeune Ecole torpille le cuirassé La marine nationale chouchoutée par le Second Empire devint à cette époque la deuxième marine du monde faisant jeu égal avec Londres, relançant les «invasions scares» (peur de l'invasion), des poussées de fièvre irrationnelles qui font craindre aux anglais un prochain débarquement français.
Il semblait donc écrit que la Royale allait être dotée des meilleurs cuirassés du monde, des plus beaux, des plus rapides, des mieux armés.
Malheureusement pour la marine nationale, ce ne fût pas le cas et ce pour plusieurs facteurs. Il y à tout d'abord la géographie : la France est un pays hybride ni totalement insulaire comme la Grande Bretagne ni bordée par deux vastes océans, promesse de découvertes et de richesses comme les États Unis mais elle n'est pas non plus un vaste empire continental comme la Russie. Il lui était donc impossible de donner autant d'importance que la Grande Bretagne à sa marine en raison de la nécessité de maintenir une puissante armée de terre.
Ensuite, il y eut le traumatisme de la guerre de 1870 et la défaite contre la Prusse. La marine du Second Empire III fût probablement la plus belle de tous les temps avec celle de Louis XVI et de l'amiral Darlan mais il n'y joua aucun rôle, trop éloignée du front pour apporter un concours efficace.
Pour les esprits progressistes, cela prouvait une chose : le cuirassé n'était plus d'aucune utilité surtout avec un coût qui ne cessait d'augmenter. L'acquisition de la liberté de la presse en 1881 (loi du 29 juillet) favorisa le développement d'un courant d'opinion que l'histoire à retenue sous le nom de «Jeune École».
Amiral Aube Cette dernière incarnée par l'amiral Aube et son gendre, le journaliste Gabriel Charmes rejette le cuirassé (l'amiral Aube ne l'abandonnait pas complètement mais ses partisans finirent par le déborder en simplifiant à outrance ses thèses) au profit de la torpille automobile, portant aux nues le torpilleur, la mine et le torpilleur submersible. Le combat en haute mer n'est pas oublié mais il doit être mené non plus par d'imposantes escadres de cuirassés mais par des croiseurs toujours plus rapides menant une guerre de course.
Appuyée par le monde politique (à la fois trop heureux de faire des économies dans le budget de la marine et voyant dans le torpilleur «un navire républicain»), la Jeune École fait ralentir la construction de cuirassés au profit d'une myriade de torpilleurs, les «numérotés» qui se révèlent bien vite incapables de combattre en haute mer.
Le cuirassé Amiral DuperréCette défiance ne pouvait qu'avoir des conséquences sur les cuirassés français qui vont se révéler systématiquement inférieurs à leurs homologues étrangers. Le premier fût le cuirassé Amiral Duperré armé en 1883. Il s'agissait d'un navire de 11085 tonnes, mesurant 97m de long sur 20.40m de large et un tirant d'eau de 7.75m, filant à 15 nœuds avec un armement composé de 4 canons de 340mm en tourelles barbettes simples avec un armement secondaire composé de 14 canons de 140mm et d'un canon de 160mm en chasse qui fût utilisé jusqu'à son désarmement en 1909.
Le cuirassé FormidableA cet unique cuirassé succéda une classe de deux navires, les Formidable et Amiral Baudin entrés en service en 1888, des navires de presque 12000 tonnes, mesurant 102m de long (98m pour l'Amiral Baudin), 21m de large et un tirant d'eau d'environ 7.80m. Filant à 15 nœuds, ces navires étaient armés de 3 canons de 370mm en barbettes axiales et 12 canons de 140mm et furent utilisés jusqu'en 1909 et 1911.
Le "Grand Hôtel" aussi connu sous le nom de HocheLe cuirassé suivant baptisé Hoche est l'un des plus célèbres cuirassés français mais ce ne fût malheureusement pas pour ses qualités militaires. Il symbolise parfaitement l'inanité des théories de la Jeune École.
Entré en service en 1890, il s'agissait d'un navire de 10050 tonnes, long de 105.40m large de 19.75m et un tirant d'eau de 8.30m, filant à 16 nœuds avec un armement composé de deux canons de 340mm en deux tourelles simples centrales, de deux canons de 274mm en deux tourelles barbettes latérales et 18 canons de 138mm en batteries comme armement secondaire.
En juin 1895, il représente la France à l'inauguration du canal de Kiel avec le croiseur cuirassé Dupuy de Lôme et en le voyant, l'empereur Guillaume II aurait dit «Grand Hôtel» «Quelle belle cible !». Il est mis en réserve en 1908 et envoyé à la démolition le 1er janvier 1910.
A la suite du «Grand Hôtel», la marine nationale va construire trois cuirassés aux plans suffisamment homogènes pour être considérés comme appartenant à une même classe, la classe Marceau (Marceau Neptune Magenta).
Par rapport au Hoche, les Marceau affichaient un armement différent avec le remplacement des canons de 274mm latéraux par des canons de 340mm. Les superstructures sont plus simples, la plage avant surelevée.
La construction du Marceau sera assurée par les Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) à la Seyne sur Mer, celle du Neptune à l'Arsenal de Brest et le Magenta à l'Arsenal de Toulon.
A noter qu'il était prévu à l'origine un autre navire apparenté aux Marceau baptisé Charles Martel mais la construction de ce cuirassé mis sur cale à Toulon en 1882 à été arrêtée par l'amiral Aube en mars 1886 et son nom repris pour un cuirassé de la Flotte d'Echantillons.
Schéma de la classe Marceau