lorsque l'on parle d'ile possession française il est rarement fait état des iles "Eparses"
La dernière parution de Cols Bleu y consacre un article très intéressant
Cols Bleus N° 3045
Terres insulaires et tropicales de l’océan Indien, de superficies modestes et méconnues, les îles Éparses offrent à elles seules, grâce à leur zone économique exclusive (ZEE), un considérable espace maritime de 425 000 km2. Essaimées autour de Madagascar, les îles – Glorieuses, Tromelin, Juan de Nova, Europa et Bassas da India – sont administrées par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) depuis 2007.
Les îles Éparses se sont longtemps résumées à un cimetière de navires. Route maritime majeure pour relier l’océan Atlantique à l’océan Indien, le canal du Mozambique voyait en effet chaque année sa litanie de navires s’échouer… pour la plus grande joie des chasseurs de trésor d’aujourd’hui. Sous cet angle, les îles apparaissent désormais comme des lieux de mémoire à protéger : Bassas da India abrite ainsi l’une des plus importantes réserves d’épaves allant du XVIe au XXe siècles, quand Tromelin recèle aujourd’hui encore les vestiges du dramatique épisode des esclaves oubliés(1). La préfecture des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), en étroite collaboration avec le Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines du ministère de la Culture (DRASSM), s’occupe de la conservation de cet héritage et de sa protection. Mais, au-delà du passé, les îles Éparses sont appelées à jouer un rôle majeur dans le monde contemporain.
DES TERRES D’AVENIR
Vue comme une nouvelle « mer du Nord », la zone du canal du Mozambique attire les sociétés pétrolières, les Éparses ne faisant pas exception. Des licences d’exploration ont été accordées et laissent entrevoir d’importants gisements d’or noir et de gaz, notamment au large de Juan de Nova. Des encroûtements cobaltifères et des nodules polymétalliques, ressources minérales des profondeurs, ont également été localisés dès 1979 par le Marion Dufresne, tandis que les ressources halieutiques – thon et espadon – attirent toutes les convoitises. Le concombre de mer (holothurie) et autres échinodermes sont particulièrement ciblés au large de Juan de Nova(2) et des Glorieuses. Ils font le bonheur des consommateurs asiatiques, friands de ces mets. La surveillance de ces vastes zones économiques exclusives (ZEE) est donc un véritable défi pour la Marine. Ses missions de défense de la souveraineté et de protection des intérêts nationaux couvrent aussi bien la lutte contre le pillage des épaves et la pêche illicite, que la préservation de potentielles ressources(3).
UNE TERRE DU « MILIEU »
Les îles Éparses ne sont occupées que par quelques météorologues, scientifiques et militaires, qui sont relevés en moyenne tous les quarante-cinq jours. Cette faible présence humaine contribue à l’état de conservation exceptionnel de ces îlots qui en fait un lieu privilégié de la biodiversité marine. Les écosystèmes sont quasi-primitifs : témoins de l’évolution des espèces, on y trouve une faune presque originelle qu’il convient de valoriser. Véritable laboratoire des sciences du climat, les Éparses constituent un observatoire idéal des effets du réchauffement climatique sur la biodiversité. Néanmoins, menacée par la montée des eaux et le risque de marée noire, leur existence est aujourd’hui précaire… En plein cœur du trafic maritime mondial, le canal du Mozambique voit en effet transiter chaque année plus de 700 millions de tonnes de pétrole brut, soit 30 % de la production mondiale en 2013. Il constitue une voie de navigation alternative au canal de Suez. Fréquenté annuellement par plus de 5 000 navires, ce passage présente un risque pour les aires marines protégées de la région. Et plus encore dans les années à venir : le développement des flux sud-sud, ainsi que les découvertes en hydrocarbures laissent à penser que son rôle stratégique ne cessera de croître.
DES TERRITOIRES CONVOITÉS
Réservoir d’hydrocarbures, richesse des écosystèmes, emplacement stratégique… tous les éléments sont réunis pour faire de ces îlots l’objet de convoitises. Madagascar revendique les îles du canal, tandis que Maurice réclame Tromelin. Si la France et les Seychelles se sont accordées sur la ZEE des Glorieuses, les délimitations d’autres Éparses restent contestées. Afin de faciliter les relations interétatiques, le Sénat s’est efforcé de trouver une solution en valorisant le rôle des Éparses comme trait d’union entre les acteurs de la zone, afin de les rapprocher plutôt que de les opposer. L’accord de cogestion économique, scientifique et environnementale passé entre la France et Maurice en 2010 pourrait justement fournir le « modèle » d’une nouvelle dynamique. Mais l’Assemblée nationale, au nom du respect de la souveraineté, se refuse pour le moment à entériner l’accord. Le maintien d’une permanence française reste ainsi un véritable enjeu pour l’avenir, dans lequel la Marine nationale aura un grand rôle à jouer, notamment grâce à ses bâtiments multimissions (B2M) et ses bâtiments de surveillance et d’intervention maritime (Batsimar).
ASP Camille Morel,
Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM)
(1) En 1760, des esclaves malgaches naufragés se retrouvent abandonnés sur l’île de Tromelin. Certains survivront dans des conditions extrêmes avant d’être secourus quinze ans plus tard.
(2) Une saisie de 1 tonne d’holothuries a été réalisée le 29 mars 2014 par la frégate de surveillance Nivôse sur une embarcation dans le lagon Juan de Nova.
(3) Le Pacific Falcon, navire sous pavillon singapourien pratiquant la recherche sismique à des fins de prospection pétrolière sans autorisation française, a été intercepté en 2013 par la Marine dans la ZEE d’Europa.